Toutes ces informations activement recueillies doivent alors permettre de construire des « modèles » de problème présentant les éléments essentiels sur lesquels la stratégie doit s’appuyer pour modifier le mode de régulation dysfonctionnel.
Dans certains cas, on peut constater que le problème est maintenu par une stratégie inadéquate parce que les personnes ne savent tout simplement pas comment ils pourraient résoudre le problème autrement. C’est bien sûr le cas le plus simple puisqu’il suffit de repérer le mouvement général des tentatives de solution pour proposer une approche à 180 degrés. Pour d’autres, par exemple pour les troubles anxieux, il sera nécessaire de se focaliser d’abord sur l’intensité de la réaction émotionnelle ou sur un changement de focalisation de l’attention avant d’orienter le patient vers l’arrêt des tentatives de solution et la recherche de solution.
Résumé du processus thérapeutique
Le diagnostic opératoire est un processus évolutif à plusieurs niveaux :
- durant les interventions, le thérapeute régule sans cesse ses interventions en fonction de leurs effets ;
- c’est la solution qui valide le diagnostic (et le « dissout » !) ;
- les traitements réussis facilitent la modélisation des nouvelles situations.
Eléments permettant de construire des « modèles de problèmes » à partir des tentatives de solution et des patterns de perception-réaction
Les distinctions sont des informations
Dans l’approche interactionnelle et stratégique, ce qui guide le thérapeute, ce sont les tentatives de solution. Les tentatives de solution des patients, mais aussi celles des autres personnes impliquées dans la résolution du problème. Mais nous savons aussi que les réactions d’un individu dépendent de la manière dont il perçoit la situation et que le changement se produit habituellement à la suite d’une expérience émotionnelle correctrice. La perception est un phénomène complexe qui comprend des sensations physiologiques, des réactions émotionnelles, des comportements, la poursuite d’objectifs et… beaucoup de pensées et de réflexion. Les recadrages, les prescriptions et les tactiques diverses sont surtout conçues pour changer les interactions directement ou l’un ou plusieurs aspects de l’expérience de perception-réaction, en fonction du type de problème. Je pense que si l’on est attentif à ces diverses composantes et à leur impact sur la perception de la réalité du patient, il devient plus facile de planifier l’intervention stratégique.
Je vais donner un aperçu général de certains éléments à prendre en considération lorsque nous sommes confrontés à une nouvelle situation. C’est cela qui permet alors d’élaborer des « modèles dynamiques » de problèmes.
1. Les aspects systémiques des tentatives de solution
Depuis la théorie de la double contrainte, nous savons comment des redondances familiales peuvent déterminer le comportement individuel. En particulier lorsqu’elles sont structurées autour de réactions émotionnelles intenses : la peur, la culpabilité ou la colère, par exemple. Il suffit de penser à la schizophrénie ou à l’anorexie, par exemple, ou encore à certains problèmes psychosomatiques.
D’un autre côté, nous savons aussi que les réactions de l’entourage (parents, fratrie, mais aussi un patron, des collègues, des docteurs ou des enseignants, par exemple) aux symptômes des patients peuvent les aggraver.
Je vais donc établir une distinction entre deux types de déterminants systémiques :
- les interactions au sein de familles dysfonctionnelles ;
- les tentatives de solution de l’entourage.
Les interactions dans les familles dysfonctionnelles. Dans certains cas, la dynamique familiale conflictuelle empêche la résolution du problème car ce dernier est justement une solution trouvée par le porteur des symptômes. Je pense aux « anorexiques sacrificielles », par exemple, ou à certains soi-disant psychotiques, pour lesquels les symptômes sont des moyens adaptés pour survivre dans la famille. D’une certaine façon, les symptômes sont donc de vraies solutions dans ce contexte familial particulier. En général, dans ces cas-là, il est nécessaire d’intervenir pour changer les composantes émotionnelles et interactionnelles de la situation qui empêchent tout changement ultérieur.
Les tentatives de solution de l’entourage. On sait que, dans l’approche stratégique, on ne travaille pas systématiquement avec toute la famille mais nous nous focalisons sur les tentatives de solution des personnes de l’entourage qui interviennent dans le processus de régulation. C’est donc le problème qui nous dit avec qui nous devons travailler pour soulager les symptômes. Dans les dépressions, par exemple, il est nécessaire d’utiliser la bonne volonté des personnes de l’entourage (parents ou conjoint, par exemple) pour les amener à arrêter leurs efforts pour encourager le patient ou pour arrêter les discussions interminables sur les plaintes et les craintes…
Dans certains cas – les thérapies indirectes –, il peut s’avérer suffisant de recevoir uniquement ces personnes-là pour résoudre le problème. Par exemple, pour des problèmes anxieux chez de jeunes enfants, ou encore dans certains problèmes de couple…
C’est pour cette raison qu’il est important de pouvoir dresser une sorte de « cartographie » du problème qui fait apparaître les différentes personnes impliquées et leurs tentatives de solution.
Tandis que nous bloquons les tentatives de solution systémiques, nous pouvons nous focaliser sur les individus et, en particulier, sur l’expérience de « perception-réaction » qui forme une sorte d’interface entre l’individu et son environnement.
Partons de l’expérience la plus immédiate, à savoir l’acte perceptif.
2. Eléments de perception
La perception est un phénomène complexe dont la cognition n’est qu’un des aspects. Il s’agit d’une expérience immédiate et globale, même si elle révèle différentes composantes. Il ne s’agit pas non plus d’un phénomène passif mais d’une prédisposition à l’action, c’est pourquoi on parle d’une boucle de perception-réaction.
- La perception est focalisée sur certains éléments de contexte (internes ou externes). Ce phénomène d’attention (et son rapport avec l’attention périphérique) est immédiat, bien qu’il soit déterminé par la recherche de buts et aussi par l’intensité émotionnelle. Beaucoup de techniques d’hypnose, notamment, visent à amener plus de souplesse dans ce phénomène (phobies, hypocondrie…).
- Il n’y a pas de perception neutre. Elle est toujours colorée par une sensation d’attraction ou de répulsion. Nardone évoque quatre sensations de base : le plaisir, la douleur, la peur et la colère. Elles sont importantes car elles orientent la réaction immédiate : exploration, inhibition, évitement, combat ou fuite…
Je vais envisager différentes composantes de la perception qu’il peut être utile de différencier pour le travail thérapeutique ; même si elles sont toutes interdépendantes et forment un système global, certaines peuvent devenir plus ou moins prégnantes en fonction du type de situation. Par exemple, une pensée peut activer une réaction émotionnelle qui va entraîner une posture et un comportement donnés qui, en retour, vont activer une réaction des personnes de l’entourage qui va renforcer la pensée, et ainsi de suite. Ou encore, une réaction émotionnelle va focaliser l’attention sur une sensation physiologique qui va augmenter la réponse émotionnelle et générer des pensées effrayantes (par exemple, la peur d’avoir une grave maladie).
Comme on peut le voir, nous cherchons à avoir une bonne représentation de l’enchaînement des différentes composantes, ceci afin de déterminer les priorités pour l’intervention et planifier les techniques à utiliser.
Voyons donc quelques variables qui affectent la perception d’une situation problématique.