On le sait, il est habituel de confondre douleur et souffrance, et l’on pourrait tenter de clarifier ces deux concepts par une définition un peu risquée : la souffrance, c’est d’être mal, la douleur, c’est d’avoir mal. Je pourrais souscrire aussi à la parole du philosophe qui dit ceci : « J’éprouve de la douleur parce que mon corps est vulnérable dans le monde des choses et j’éprouve de la souffrance par ce que mon existence est vulnérable dans le monde des humains. » Les patients attendent du sens et les médecins sont tentés de leur donner des causes. C’est dire si la douleur dite chronique a de beaux jours devant elle !
Le pire c’est l’inquiétude. C’est se demander : combien de temps ? Et ce qui ne marche plus va-t-il remarcher ? Et quelles séquelles ? Et quel traitement ? Et ont-ils raison tous ces docteurs et psychothérapeutes pas toujours d’accord, si souvent lointains, pressés, trop sûrs ou inquiets ? Et cette douleur, qu’annonce-t-elle ?
La « divine douceur », comme la nomme si justement Maurice Bellet, est sobre et discrète. Elle ne disserte pas sur elle-même. Elle ne prend pas ses idées pour des actes, elle ne se perd pas dans les hauteurs. Elle va du corps au corps, par le regard, la main, la simple présence, l’écoute bienveillante est heureuse. Elle se réjouit de celui qui est proche sans rien exiger de lui. Elle échange sans chercher profit, elle donne sans rien attendre en retour. Elle est l’humanité naïve et simple, elle peut se passer de tout, même des mots. Une poignée de mains peut être intrusive. Il y a des poignées de mains qui sont différentes : il y en a qui vous prennent la main, il y en a qui vous la tendent, ce n’est pas la même chose. Le temps que l’on compte ne raconte rien. Avec la douleur le rythme intime est cassé, et le rythme c’est le temps du temps. Qu’il me soit permis de rendre ici hommage à Pierre de Barrigue de Montvallon, dit Piem (1), dessinateur français, célèbre pilier du Petit Rapporteur et qui nous a quittés le 12 novembre dernier.
Cher lecteur, vous pourrez savourer « l’infusion dans le temps » que procure l’attente, telle qu’elle est abordée par Isabelle Devouge et Marc Galy. Dans le droit fil de François Roustang, il n’est plus besoin de s’étonner que l’attente soit le nerf de l’hypnose et qu’elle s’exerce de la façon la plus haute lorsqu’elle ose faire face à tout dérèglement de l’existence. Ne pas savoir attendre, c’est confondre la nuit avec les ténèbres. Dans la nuit, on ne perçoit rien. Mais, à la différence des ténèbres, la nuit promet l’aube. Il faut des veilleurs qui soient capables de s’en apercevoir. Pour aller plus loin, vous n’attendrez pas pour commander l’ouvrage de Marc Galy (2), magnifiquement préfacé par Jean-Marc Benhaïem. Par sa présence, l’accompagnant réintroduit le temps. En soutenant le désir, il incite à l’articulation entre souffrance et espérance. Il désenclave de l’instant et introduit le présent. Il autorise l’avenir. Il est l’autre du temps. Philippe Rayet nous invite de son côté à partager une magnifique histoire clinique, où l’on s’aperçoit que le terme « chronique », qui évoque le non-retour à un état antérieur, est un signifiant inadapté et l’on devrait davantage dire : une douleur qui se répète tous les jours, ce qui n’a pas le même sens. Si Philippe Rayet apparaît comme un magicien de l’antalgie, c’est qu’il a plus d’une corde à son arc, mettant en application clinique toute la puissance de l’imagination active. La question n’est pas que chacun sache tout faire, c’est que chacun sache utiliser le bon outil au moment où il a à le faire. Luc Evers, quant à lui, incarne magistralement la proposition de Jean-Paul Sartre, quand ce dernier écrit : « L’important n’est pas ce que l’on a fait de moi, mais ce que je fais de ce que l’on a fait de moi. » Voici un bel exemple de résilience grâce à l’autohypnose. L’hypnose apparaît alors comme un paradoxe qui résout le paradoxe.
Commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°60
Février Mars Avril 2021
Dossier : Les techniques de Rossi
- Edito: Ernest L. Rossi, celui qui savait poser les questions à Milton Erickson. Julien Betbèze, rédacteur en chef
- Papa, maman, le psy et moi. Comprendre le travail transgénérationnel. Bogdan Pavlovici nous invite avec humour à une séance de thérapie familiale
Peur du vide. Quatre situations cliniques. Nathalie Koralnik utilise l’approche de Palo Alto et nous donne des stratégies précises pour affronter la peur du vide.
- La poésie, une alliée hypnotique. Pour se séparer de ce qui nous fait souffrir. Nicolas d’Inca
Espace Douleur Douceur
Edito : Douleur ou souffrance ? Gérard Ostermann
L’attente, une infusion dans le temps : Isabelle Devouge et Marc Galy
- Soulager la douleur en réparant le passé. Philippe Rayet fait le récit d’une histoire clinique mettant en scène la puissance de l’imagination active
- Quand tout bascule. Luc Evers, passé brutalement du statut de thérapeute à celui de patient témoigne de son expérience et de son utilisation de l’autohypnose avant, pendant et après son opération
Dossier : hommage à Ernest Rossi
Un chercheur en action. Dominique Megglé
- Un génie avec beaucoup de lumières. Claude Virot
- L’art de l’induction de transe et de l’accompagnement dans le processus hypnotique par le questionnement. Wilfrid Martineau
Rubriques
- Quiproquo, malentendu et incommunicabilité. « Illumination ». Stefano Colombo
- Les champs du possible. Je ne parle plus l’hypnose. Les troubles du comportement alimentaire et les mots. Adrian Chaboche
Culture monde. Expérience visionnaire d’un soufi. Sylvie Le Pelletier
Les grands entretiens. Mark P. Jensen, soulager les patients de leurs douleurs chroniques. Par Gérard Fitoussi
- Livres en bouche