Diagnostic Opératoire. Principes et mise en œuvre. Jean-Jacques Wittezaele. Revue Hypnose & Thérapies Brèves

Jean-Jacques Wittezaele
Docteur en psychologie, psychothérapeute,. Fondateur de l'IGB, Jean-Jacques Wittezaele est élève de Watzlawick, Weakland et Fish auprès de qui il s'est formé pendant plus de 3 ans. Représentant du MRI pour l'Europe francophone, il est aussi associé de recherche au MRI de Palo Alto.



Spécialiste des travaux de Bateson, il est auteur de nombreux livres et articles, notamment "A la recherche de l'Ecole de Palo Alto, L'homme relationnel, Aide ou contrôle et la double contrainte. Chargé de cours à Paris X, Nanterre, à l'HEFTS de Fribourg en Suisse, ainsi qu'à l'école de thérapie stratégique d'Arezzo en Italie. Il forme des professionnels et pratique la thérapie brève depuis plus de 25 ans

Suite à un précédent article , je vais présenter l’état d’avancement actuel du diagnostic opératoire systémique et stratégique sur lequel je travaille en collaboration avec Giorgio Nardone. J’en énumérerai d’abord certains principes, puis les étapes de sa mise en œuvre, avant de développer les éléments fondamentaux sur lequel il s’appuie. Le résultat final devrait être publié dans quelques mois.

Principes du diagnostic opératoire

Voici les préalables sur lesquels repose le diagnostic systémique et stratégique.
- « La communication est la matrice sociale de la psychiatrie. » (G. Bateson). La communication peut « guérir » et la grande majorité de la souffrance et des problèmes psychologiques peuvent être traités par la communication. (La métaphore médicale est réductrice pour aborder les phénomènes psychiques et comportementaux.)

- Les patients ont les ressources pour trouver des solutions à leurs difficultés comme les résultats le montrent. Il ne s’agit pas de mettre en évidence une réussite spectaculaire pour l’une ou l’autre situation, il s’agit d’une approche validée sur des milliers de cas et que l’on a pris la peine d’évaluer - même si cette question reste délicate.

- Il est important de formaliser la pratique pour en faire une « méthode » de traitement afin d’en faciliter une utilisation généralisée.

- C’est une approche pragmatique : elle cherche à trouver les stratégies qui fonctionnent et permettent de sortir les patients de leurs ornières. On ne part pas de théories qu’on essaie d’appliquer mais on formalise une pratique efficiente. On ne part pas de positions idéologiques mais on utilise les ressources de la communication les plus efficientes pour permettre aux patients de trouver des solutions à leurs difficultés.

- On ne cherche pas à classer les patients dans une nosographie psychopathologique en définissant leur « état », on modélise la dynamique interactionnelle dysfonctionnelle en vue d’en opérationnaliser le traitement. On cherche comment la personne réagit lorsqu’elle se trouve face à une situation qu’elle perçoit comme problématique pour elle ; ce qu’elle fait, dit, montre, ressent et pense… et comment cela l’empêche de trouver une solution adaptée.

- Notre démarche est stratégique : ce sont les résultats des interventions qui infirment ou confirment la modélisation.

- L’approche est non normative : les problèmes psychologiques sont des dysfonctionnements (rigidité, généralisations excessives, incapacités émotionnelles…), des processus adaptatifs « normaux » (évitement, affrontement, contrôle ou acceptation, anticipation…).

- Ce sont les tentatives de solution volontaires et involontaires du patient et de son entourage qui maintiennent et renforcent le mode régulation inapproprié.

- Les tentatives de solution dépendent de la dynamique systémique et du mode de perception-réaction du patient.

- Les stratégies, manœuvres tactiques et stratagèmes du thérapeute visent à bloquer les tentatives de solution du patient et du « système pertinent » et à changer la façon dont ils perçoivent la situation.

- Le thérapeute régule ses interventions en fonction de leurs effets : le diagnostic – traitement est évolutif.

- C’est la solution (le traitement réussi) qui valide le diagnostic (et le « dissout » par la même occasion) ; la métaphore du « diagnostic psychodégradable » y trouve tout son sens.

Les étapes du processus de diagnostic opératoire

Il s’agit d’un processus circulaire qui commence par la traditionnelle question « Qu’est-ce qui vous amène ? », pour aboutir, par le questionnement stratégique et les régulations continuelles au cours des séances, au constat mutuel que le patient a trouvé ou retrouvé les moyens de poursuivre sa vie de façon autonome. En voici les étapes essentielles.

Envisager la dynamique systémique de la plainte et des symptômes

Habituellement, c’est la partie la plus facile : le patient nous donne ces informations si on les lui demande et celles-ci orientent, calibrent le thérapeute vers les éléments du système qui dysfonctionnent. Elles lui permettent aussi de se syntoniser, d’établir une relation d’empathie avec la souffrance du patient.
Quelles parties du système sont concernées par sa résolution ? Nous intéressant à la façon dont les gens régulent leurs relations à l’environnement, nous devons donc prendre en compte toutes les boucles de régulation. On peut donc dire que c’est le problème qui détermine le système pertinent à prendre en considération : qui essaie de résoudre le problème et comment ?

La co-construction du problème

A travers l’entretien stratégique, le thérapeute doit conduire le patient à transformer (recadrer) la plainte et les symptômes en problème, puis le problème en tentatives de solution. Cette transformation préparant le terrain pour la reformulation de la situation problématique qui, ensuite, permettra l’élaboration des messages correcteurs (tâches, prescriptions, recadrages).
Cette phase est essentielle. Elle constitue un recadrage capital pour la suite du travail et demande donc à être soigneusement préparée car c’est elle qui devra susciter l’envie de changer chez le patient. Je ne peux pas parler ici de la façon de conduire un entretien stratégique ; je me contenterai de signaler certains éléments importants pour une résolution stratégique du problème. Cette co-construction du problème doit être :

- Cohérente avec la plainte et les symptômes (qui doivent apparaître comme la conséquence logique des tentatives de solution) énoncés par le client.

- Elle doit décrire le processus de régulation dysfonctionnel en termes concrets et actuels (où, quand, avec qui, dans quelles circonstances, avec quelles conséquences ?) sous une forme narrative, décrivant l’enchaînement des diverses composantes.

- Elle doit également inclure les réactions de l’entourage actif dans la tentative de régulation.

- Elle doit surtout servir à augmenter ce que certains appellent le sentiment d’auto-efficacité du patient en le mettant activement au cœur du processus en lui attribuant ou lui réattribuant le processus de régulation problématique, lui laissant ainsi entendre qu’il a donc les capacités de sortir du problème.
A ce propos, il faut signaler que les personnes confrontées à un problème à composante émotionnelle élevée ont souvent l’impression de n’avoir aucune prise sur leurs réactions. Leur sentiment d’auto-efficacité dans ce domaine est très faible, ce qui entraîne du désespoir et une attitude sceptique quant à l’efficacité d’une intervention thérapeutique. Ainsi, le premier mouvement thérapeutique vise souvent à restaurer le sentiment des individus que leurs actions vont être suivies d’effets et vont apporter un changement dans leur vie.

- Elle doit être formulée de façon à intégrer les divers éléments explicatifs et distinctifs pertinents pour la personne (historique, personnalité, caractère, événements traumatiques…). Le thérapeute devra les intégrer à la reformulation ou en justifier de façon experte les désavantages ou l’inexactitude. Par exemple, pour la privation d’aliments, l’inhibition de certains souvenirs ou de certaines émotions - « Je préfère ne pas y penser » - ou en en relativisant l’impact (« Vous êtes soulagé directement mais cela vous aide-t-il à faire progresser votre situation de façon durable ? »).

- Elle doit faire émerger la logique qui conduit le patient à réagir comme il le fait. S’agit-il d’une logique de contrôle paradoxal, d’une conviction structurant tous les comportements et créant ainsi des prophéties auto-réalisantes ? D’une logique incertaine, ambivalente, hésitante, contradictoire ? (Car l’intervention devra en tenir compte et souvent utiliser la même logique pour résoudre le problème.)

- Cette reformulation doit continuellement s’appuyer, être justifiée, par les objectifs attendus du patient. Même si les objectifs ne sont pas toujours définis de façon concrète (parfois le problème même du patient l’empêche de déterminer des objectifs précis formulés de façon constructive ; mais l’arrêt du problème peut suffire dans un premier temps), il faut néanmoins au minimum qu’une attente, donc un engagement dans le processus de solution, soit formulée pour qu’une stratégie puisse être élaborée.

- Elle doit souvent se faire en utilisant un langage évocateur, des métaphores, des histoires, des aphorismes susceptibles de toucher émotionnellement les patients.

La modélisation opérationnelle du problème

Toutes ces informations activement recueillies doivent alors permettre de construire des « modèles » de problème présentant les éléments essentiels sur lesquels la stratégie doit s’appuyer pour modifier le mode de régulation dysfonctionnel.

Dans certains cas, on peut constater que le problème est maintenu par une stratégie inadéquate parce que les personnes ne savent tout simplement pas comment ils pourraient résoudre le problème autrement. C’est bien sûr le cas le plus simple puisqu’il suffit de repérer le mouvement général des tentatives de solution pour proposer une approche à 180 degrés. Pour d’autres, par exemple pour les troubles anxieux, il sera nécessaire de se focaliser d’abord sur l’intensité de la réaction émotionnelle ou sur un changement de focalisation de l’attention avant d’orienter le patient vers l’arrêt des tentatives de solution et la recherche de solution.

Résumé du processus thérapeutique

Le diagnostic opératoire est un processus évolutif à plusieurs niveaux :
- durant les interventions, le thérapeute régule sans cesse ses interventions en fonction de leurs effets ;
- c’est la solution qui valide le diagnostic (et le « dissout » !) ;
- les traitements réussis facilitent la modélisation des nouvelles situations.


Eléments permettant de construire des « modèles de problèmes » à partir des tentatives de solution et des patterns de perception-réaction

Les distinctions sont des informations
Dans l’approche interactionnelle et stratégique, ce qui guide le thérapeute, ce sont les tentatives de solution. Les tentatives de solution des patients, mais aussi celles des autres personnes impliquées dans la résolution du problème. Mais nous savons aussi que les réactions d’un individu dépendent de la manière dont il perçoit la situation et que le changement se produit habituellement à la suite d’une expérience émotionnelle correctrice. La perception est un phénomène complexe qui comprend des sensations physiologiques, des réactions émotionnelles, des comportements, la poursuite d’objectifs et… beaucoup de pensées et de réflexion. Les recadrages, les prescriptions et les tactiques diverses sont surtout conçues pour changer les interactions directement ou l’un ou plusieurs aspects de l’expérience de perception-réaction, en fonction du type de problème. Je pense que si l’on est attentif à ces diverses composantes et à leur impact sur la perception de la réalité du patient, il devient plus facile de planifier l’intervention stratégique.
Je vais donner un aperçu général de certains éléments à prendre en considération lorsque nous sommes confrontés à une nouvelle situation. C’est cela qui permet alors d’élaborer des « modèles dynamiques » de problèmes.

1. Les aspects systémiques des tentatives de solution
Depuis la théorie de la double contrainte, nous savons comment des redondances familiales peuvent déterminer le comportement individuel. En particulier lorsqu’elles sont structurées autour de réactions émotionnelles intenses : la peur, la culpabilité ou la colère, par exemple. Il suffit de penser à la schizophrénie ou à l’anorexie, par exemple, ou encore à certains problèmes psychosomatiques.
D’un autre côté, nous savons aussi que les réactions de l’entourage (parents, fratrie, mais aussi un patron, des collègues, des docteurs ou des enseignants, par exemple) aux symptômes des patients peuvent les aggraver.
Je vais donc établir une distinction entre deux types de déterminants systémiques :
- les interactions au sein de familles dysfonctionnelles ;
- les tentatives de solution de l’entourage.

Les interactions dans les familles dysfonctionnelles. Dans certains cas, la dynamique familiale conflictuelle empêche la résolution du problème car ce dernier est justement une solution trouvée par le porteur des symptômes. Je pense aux « anorexiques sacrificielles », par exemple, ou à certains soi-disant psychotiques, pour lesquels les symptômes sont des moyens adaptés pour survivre dans la famille. D’une certaine façon, les symptômes sont donc de vraies solutions dans ce contexte familial particulier. En général, dans ces cas-là, il est nécessaire d’intervenir pour changer les composantes émotionnelles et interactionnelles de la situation qui empêchent tout changement ultérieur.

Les tentatives de solution de l’entourage. On sait que, dans l’approche stratégique, on ne travaille pas systématiquement avec toute la famille mais nous nous focalisons sur les tentatives de solution des personnes de l’entourage qui interviennent dans le processus de régulation. C’est donc le problème qui nous dit avec qui nous devons travailler pour soulager les symptômes. Dans les dépressions, par exemple, il est nécessaire d’utiliser la bonne volonté des personnes de l’entourage (parents ou conjoint, par exemple) pour les amener à arrêter leurs efforts pour encourager le patient ou pour arrêter les discussions interminables sur les plaintes et les craintes…

Dans certains cas – les thérapies indirectes –, il peut s’avérer suffisant de recevoir uniquement ces personnes-là pour résoudre le problème. Par exemple, pour des problèmes anxieux chez de jeunes enfants, ou encore dans certains problèmes de couple…
C’est pour cette raison qu’il est important de pouvoir dresser une sorte de « cartographie » du problème qui fait apparaître les différentes personnes impliquées et leurs tentatives de solution.
Tandis que nous bloquons les tentatives de solution systémiques, nous pouvons nous focaliser sur les individus et, en particulier, sur l’expérience de « perception-réaction » qui forme une sorte d’interface entre l’individu et son environnement.
Partons de l’expérience la plus immédiate, à savoir l’acte perceptif.

2. Eléments de perception
La perception est un phénomène complexe dont la cognition n’est qu’un des aspects. Il s’agit d’une expérience immédiate et globale, même si elle révèle différentes composantes. Il ne s’agit pas non plus d’un phénomène passif mais d’une prédisposition à l’action, c’est pourquoi on parle d’une boucle de perception-réaction.

- La perception est focalisée sur certains éléments de contexte (internes ou externes). Ce phénomène d’attention (et son rapport avec l’attention périphérique) est immédiat, bien qu’il soit déterminé par la recherche de buts et aussi par l’intensité émotionnelle. Beaucoup de techniques d’hypnose, notamment, visent à amener plus de souplesse dans ce phénomène (phobies, hypocondrie…).

- Il n’y a pas de perception neutre. Elle est toujours colorée par une sensation d’attraction ou de répulsion. Nardone évoque quatre sensations de base : le plaisir, la douleur, la peur et la colère. Elles sont importantes car elles orientent la réaction immédiate : exploration, inhibition, évitement, combat ou fuite…

Je vais envisager différentes composantes de la perception qu’il peut être utile de différencier pour le travail thérapeutique ; même si elles sont toutes interdépendantes et forment un système global, certaines peuvent devenir plus ou moins prégnantes en fonction du type de situation. Par exemple, une pensée peut activer une réaction émotionnelle qui va entraîner une posture et un comportement donnés qui, en retour, vont activer une réaction des personnes de l’entourage qui va renforcer la pensée, et ainsi de suite. Ou encore, une réaction émotionnelle va focaliser l’attention sur une sensation physiologique qui va augmenter la réponse émotionnelle et générer des pensées effrayantes (par exemple, la peur d’avoir une grave maladie).

Comme on peut le voir, nous cherchons à avoir une bonne représentation de l’enchaînement des différentes composantes, ceci afin de déterminer les priorités pour l’intervention et planifier les techniques à utiliser.
Voyons donc quelques variables qui affectent la perception d’une situation problématique.


Rédigé le 05/10/2011 modifié le 02/11/2011
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