L’alliance hypnose et yoga nidra. Une mise en résonance avec le patient.

Gérard VIGNERON, propos recueillis par S. COHEN



Gérard Vigneron, médecin, a expérimenté des pratiques complémentaires à l’hypnose. Il nous parle de ses expériences qui, aux frontières du réel, interrogent notamment la notion de conscience locale.

Qu’est-ce que ces expériences yoga nidra et hypnose vous apportent dans votre pratique professionnelle avec vos patients ?
Gérard Vigneron : J’ai commencé à pratiquer l’hypnose il y a maintenant vingt ans et le premier changement que j’ai pu observer dans ma pratique a été une écoute différente du patient, une écoute plus intuitive et plus globale. Une écoute qui ne s’arrête pas à l’analyse des symptômes mais qui permet d’entendre toutes les dimensions de l’être. Cette écoute crée un lien thérapeutique beaucoup plus efficace.

En ce qui concerne le yoga nidra, que j’ai découvert lors de mes séjours dans un centre de soins ayurvédiques en Inde, je le pratique quotidiennement car je suis persuadé que cette pratique favorise les processus d’autoguérison. Elle me semble aussi intéressante dans mon activité professionnelle. Je pense qu’elle m’a permis de m’installer dans une présence différente face au patient. Une présence caractérisée par une plus grande fluidité psychique, l’impression de m’installer dans un mouvement intérieur qui facilite la mise en résonance avec le patient. Je conseille aussi souvent aux patients de pratiquer le yoga nidra car je pense qu’il favorise une ouverture du champ de conscience dans laquelle le processus thérapeutique se développe plus facilement. Je suis conscient que les termes que j’emploie peuvent paraître très vagues, mais il est difficile de rendre compte par les mots d’expériences subjectives aussi riches.

Pouvez-vous nous préciser les convergences et différences entre les deux pratiques ? Le yoga nidra est-il thérapeutique ? Est-ce une discipline ?
Incontestablement, l’hypnose et le yoga nidra partagent des points communs, comme par exemple l’importance donnée à une forme d’attention, l’attention focalisée, l’existence de la suggestion qui, dans la pratique du yoga nidra, est une autosuggestion appelée « sankalpa », ou encore le passage par un « état confusionnant » que l’on retrouve dans les deux pratiques et qui, comme l’écrivait François Roustang au sujet de l’hypnose, permet de mettre en sommeil la « conscience d’entendement pour laisser émerger l’âme sentante » (1).

Dans les deux pratiques, on demande donc au sujet de maintenir une forme d’attention. D’être dans « une présence attentive » à ce qui est vécu. Mais très vite l’attention soutenue va se traduire par une « perception brouillée ». La perception des sensations habituelles est comme suspendue, mais cet effet a pour intérêt de conduire le sujet à un état de disponibilité et de réceptivité optimal à ce qui vient du plus profond de lui. Dans la pratique du yoga nidra, j’ai vraiment l’impression que tout est fait pour étirer en longueur ce moment de réceptivité chez le sujet afin de favoriser la réorganisation de son monde intérieur. Le yoga nidra ne peut donc être réduit à une méthode de relaxation. Sa pratique favorise un changement qualitatif de l’expérience de la conscience dans lequel les processus d’auto-guérison peuvent émerger plus facilement, mais de plus et elle donne l’occasion de s’ouvrir à une autre dimension de la réalité. Quant à la confusion, el le crée un « empêchement à penser » qui facilite l’émergence d’une expériences singulière, celle de pouvoir accoucher de soi-même. Il ne fait aucun doute que la pensée discursive peut représenter un frein à cette naissance à soi-même, aussi cette naissance ne peut être que le fruit d’une expérience qui passe par le non-savoir. Car, singulièrement, c’est en vivant l’expérience d’être perdu, de ne plus savoir, que le participant a l’occasion de se retrouver. « C’est le non-savoir qui introduit l’être humain à ce qu’il est » (2), écrivait François Roustang.

Pour créer cet état confusionnant dans la séance de yoga nidra, il nous est proposé, dans un temps très court, de porter notre attention sur différents objets (corporels, liés à des sensations, des émotions…) pour suspendre la perception habituelle et profiter de ce moment « en suspens » pour laisser le « sankalpa » se déployer plus facilement. La confusion représente donc une étape essentielle, que ce soit dans l’expérience hypnotique ou celle du yoga nidra pour naître à autre chose. François Roustang exprimait parfaitement l’intérêt du passage par la confusion quand il définissait la séance d’hypnose comme le moyen d’« éteindre les pensées, les paroles, les émotions de telle sorte qu’elles n’aient plus besoin d’être exprimées et que survienne alors un silence dans lequel quelque chose peut se passer ». La confusion est donc l’occasion qui est donnée au patient de s’ouvrir à ce silence « plein de ce quelque chose » dont l’expérience montre qu’il a des vertus thérapeutiques. Il y a donc de nombreux points communs entre l’hypnose et le yoga nidra. La différence réside principalement dans la mise en forme de l’expérience. En ce qui con - cerne le yoga nidra, on peut avoir l’impression de suivre un protocole un peu fastidieux en se focalisant rapidement sur des parties du corps ou des sensations d’une façon très précise. Mais en ce qui me concerne, je le trouve particulièrement efficace pour créer une plus grande ouverture au monde, qui est en soi thérapeutique.

Mais pour pour cela le yoga nidra doit être considéré comme une discipline, c’est-àdire que sa pratique doit être régulière. En Occident, on parle de ces approches comme des outils. Ailleurs, en Inde en particulier, le yoga nidra ou encore la méditation permettent d’accéder à une façon d’être. Pouvez-vous développer cet aspect ? C’est vrai, nous autres Occidentaux, nous avons tendance à considérer l’hypnose, le yoga nidra ou encore la méditation comme des outils pour développer une forme d’entraînement de l’esprit qui aurait un effet thérapeutique. Cette approche utilitaire validée par les données scientifiques réduit considérablement l’intérêt de ces pratiques. Si l’on se penche sur la façon dont ces pratiques sont considérées en Asie, on s’aperçoit que le yoga nidra comme la méditation sont le fruit d’une véritable méthodologie élaborée au fil des siècles dans le but de cultiver un état d’être, un état intérieur qui représente non seulement un intérêt thérapeutique, mais qui favorise aussi l’expérience d’une autre dimension de la réalité au-delà de celle définie par la perception des données sensorielles.

Ces pratiques nous amènent donc à nous libérer de cet « oubli de l’être » qui est source de tant de souffrances mais aussi à découvrir qu’il existe bien une autre dimension qui transcende notre réalité quotidienne.

Au sortir de certaines séances, les personnes décrivent une sensation d’être en unité, en harmonie… une partie du grand tout. Est-ce que cette expérience change leur façon d’aborder, de concevoir leur vie ?


GÉRARD VIGNERON Médecin installé depuis 1979, pratiquant l’hypnose depuis 1999 après avoir été formé à l’Institut Erickson d’Avignon. DU d’Hypnose médicale en 2004 à la faculté de la Pitié- Salpêtrière. Auteur de quatre livres à ce jour : Transes, médecines de l’âme, en collaboration avec Françoise Marie, sophrologue, Souffle d’Or (2010), Un médecin face à l’invisible, Editions du Relié (2013), Un médecin à l’écoute des pouvoirs de la conscience, Editions du Relié (2015), Renaître : Les choix d’un médecin face à son cancer, Editions du Relié (2016). Un nouvel ouvrage à paraître, à l’automne 2019, aux éditions Satas.

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Dialogue stratégique pour le changement thérapeutique. Gregory LAMBRETTE
« La vie est encore elle-même un thérapeute très efficace. » Karen HORNEY
LIMINAIRES
« Savoir écouter, oser intervenir », telles sont les qualités premières du thérapeute stratégique selon John Weakland, l’une des figures de proue de l’école de Palo Alto

Protections dissociatives. Gérald BRASSINE
ANESTHÉSIANTS POUR L’HYPNOTHÉRAPIE DU TRAUMA.
Une bonne compréhension de l’hypnose est centrale pour saisir les mécanismes hypnotiques qui sont à l’oeuvre dans la création des états, tellement douloureux, de stress post-traumatiques (ESPT).

Note Dixième selon François Roustang
« Parler de la liberté n’est qu’une autre manière de parler de l’hypnose ou de la définir », « L’apprentissage de la liberté », intervention au colloque de l’AFEHM, 2007 C’est sur la notion de liberté, et il ne pouvait en être autrement, que nous refermons cette rubrique consacrée à quelques éléments de la pensée de François Roustang. 

Entrée dans l’IRM
Dr JUANA PELAEZ PEREZ. Médecin anesthésiste-réanimateur au Centre hospitalier de Tolède en Espagne, formée à l’hypnose médicale à Paris VI. Pour elle, l’hypnose est un complément de travail qui aide les patients à améliorer leur adhésion aux soins médicaux. Et l’utilisation de l’hypnose en complément crée dans l’équipe médicale une atmosphère de travail en harmonie.

Le garde-barrière de l’intestin. Exemple de protocole.Jean-Christophe LE DANVIC
Lorsqu’un patient m’est adressé par un médecin pour des douleurs de dos, il peut bénéficier de quinze séances d’une demi-heure, plus de sept heures de soins. La relation patient/thérapeute peut cependant aller plus loin que les simples techniques de massage ou d’étirement utilisées habituellement en kinésithérapie.

Hypnose et urgences pré-hospitalières.
« Qui craint de souffrir, souffre déjà de ce qu’il craint », disait Montaigne.
FRÉDÉRIC DOLLET Infirmier anesthésiste au Samu 59 à Lille. Titulaire du DU d’Hypnose de la Faculté de Lille.

Éditorial Sophie COHEN et Henri BENSOUSSAN
Pourquoi cette thématique ? En écho au dernier congrès de la Confédération francophone d’Hypnose et de Thérapies brèves (CFHTB) qui s’est tenu à Montpellier en mai dernier, où nous avions alors, Henri Bensoussan et moi-même, animé une table ronde sur ce sujet.

Conscience, placebo et réalité virtuelle Sophie COHEN et Henri BENSOUSSAN
Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°55
Pour débuter notre article, nous vous proposons quelques définitions. Car même s’il est complexe de définir des notions en constante évolution, il nous semble essentiel pour débuter de s’intéresser aux notions suivantes : conscience, placebo, effet placebo, réalité virtuelle.

La réalité virtuelle au bloc opératoire. Des expériences sans suite. Dr Marc GALY
J’ai utilisé les casques de réalité virtuelle en janvier 2017 au bloc opératoire pour des interventions sous anesthésies locales et locorégionales, mineures et relativement courtes (varices). Dans ces expériences, le casque n’a pas répondu aux besoins du patient et n’a pas installé la relation thérapeutique basée sur une présence partagée.

L’alliance hypnose et yoga nidra. Une mise en résonance avec le patient. Dr Gérard VIGNERON.
Gérard Vigneron, médecin, a expérimenté des pratiques complémentaires à l’hypnose. Il nous parle de ses expériences qui, aux frontières du réel, interrogent notamment la notion de conscience locale.

Pas de panique ! Dr Stefano Colombo, Revue Hypnose et Thérapies brèves 55
« Je ne vais pas écrire que je ne mens pas. »
Cette phrase n’a pas été la phrase que Frédéric n’avait pas prononcée lors de la réception que l’entreprise Communication & Clarté SA n’avait pas voulu organiser.

La crêpe, et papa à gauche. Dr Adrian CHABOCHE et Virginie NAVINEL, orthophoniste
Voici un voyage dans les méandres labyrinthiques de la complexité merveilleuse de notre cerveau. Cette situation clinique est proposée par une lectrice de la revue, orthophoniste spécialisée dans la rééducation des adultes. Madame S.

Histoire de l'Hypnose. Didier MICHAUX
Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, l’hypnose, il n’y avait que très peu de thérapeutes faisant appel à cette pratique. Le plus célèbre était le Dr Léon Chertok, psychiatre dirigeant le service de médecine psychosomatique de l’Elan Retrouvé, auteur du livre L’Hypnose, un des rares livres, alors récent, parlant de ce sujet. En fait, le mot n’évoquait que le music-hall et en général les parasciences pour la plupart des gens.

Les grands entretiens: Gérard OSTERMANN interviewé par Gérard FITOUSSI


Rédigé le 03/05/2020 modifié le 22/09/2020
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Formateur en Hypnose Médicale au CHTIP à Paris, à l'Institut Hypnotim à Marseille, à l'Institut… En savoir plus sur cet auteur


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