EMDR et prise en charge du psychotraumatisme (saison 2). Cyril TARQUINIO Revue Sexualités Humaines

De façon très pratique et basé sur deux cas cliniques, ce travail dans la suite de la saison 1 va nous permettre d’intégrer les mécanismes pratiques utilisables de l’EMDR dans les traumatismes liés à la sexualité.



* Lire la Saison 1

1- La procédure de la thérapie EMDR

La thérapie EMDR s’appuie sur de nombreux facteurs déjà utilisés par d’autres approches, comme les TCC, les approches psychodynamiques ou encore l’hypnose éricksonienne.

Présentation du protocole EMDR de base (tiré de Shapiro, 2007)

Introduction : construire un rapport de confiance comme dans tout cadre thérapeutique. Expliquer la thérapie EMDR

Positionner la démarche et la technique (signal stop, distance des doigts par rapport aux yeux, rapidité des mouvements, installation d’un lieu sûr ).

Détermination de la cible ou du souvenir traumatique qui sera traité
« Sur quelle situation voulez-vous travailler aujourd’hui ? »
« Quelle image représente la partie la plus difficile de cet incident ou événement ? »

Cognition négative (CN). « Quand vous regardez cette image, quels sont les mots qui vous viennent à l’esprit qui disent quelque chose de négatif sur vous et qui résonnent comme vrais maintenant ? »
Cognition positive et évaluation de la cognition
« Plutôt que (reprendre la cognition négative), quand vous regardez cette image (ou situation), qu’est-ce que vous préféreriez penser de vous-même maintenant ? »

Validité ou crédibilité de la cognition positive (notée VOC sur une échelle de 1 à 7). « Quand vous pensez à cette image (ou situation), dans quelle mesure ressentez-vous comme vrais ces mots (répétez la cognition positive), maintenant ? Sur une échelle de 1 à 7, avec 1 étant le niveau le plus bas (tout à fait faux) et 7 le niveau le plus haut (tout à fait vrai), quelle valeur lui donneriez-vous ? »

Emotion, tension et localisation
Détermination de l’émotion (ou des émotions) associée(s) : « Quand vous pensez à cette image (ou situation) et à ces mots (répétez la cognition négative), quelle(s) émotion(s) éprouvez-vous maintenant ? »

Tension ou mesure du SUD « Sur une échelle de 0 à 10, où 0 signifierait aucune perturbation et 10 le plus haut niveau de perturbation que vous puissiez imaginer, à combien évaluez-vous la perturbation que vous ressentez maintenant ? »

Localisation de la sensation corporelle « Où ressentez-vous cette tension dans votre corps ? »

Désensibilisation et réévaluation du SUD
Mise en œuvre des séries de mouvements oculaires : « Je voudrais que vous laissiez revenir cette image, ces mots (répétez la cognition négative) et cette sensation dans votre corps. Maintenant suivez le mouvement de mes doigts avec vos yeux… »

Réévaluation du SUD « Retournez à l’incident initial. Qu’obtenez-vous maintenant ? » Répéter la procédure jusqu’à ce que le SUD soit égal à 0.

Installation
Mise en lien de la cognition positive avec la cible. « Les mots (répétez la cognition positive) sont-ils toujours les plus adaptés ou y a-t-il une autre formulation qui correspondrait mieux maintenant à ce que vous souhaitez ? »
« Pensez à la situation initiale et à ces mots (énoncer la cognition positive choisie). Dites-moi à quel point vous ressentez ces mots comme vrais maintenant ? »
« Gardez-les ensemble ! » Reprendre les mouvements oculaires et après chaque série vérifier la VOC.
Continuez l’installation aussi longtemps que le matériel se modifie et devient plus adapté.

Body scan ou scanner du corps « Fermez les yeux. Concentrez-vous sur la situation et les mots (énoncer la cognition positive) et passez en revue mentalement votre corps en entier. Dites-moi où vous ressentez quelque chose ? » Si une sensation est mentionnée, faire des mouvements oculaires (spécifiques selon que la sensation et positive ou négative).


Pendant une séance de thérapie EMDR, il est demandé au patient de bouger les yeux de gauche à droite, à un rythme régulier, tout en pensant à des éléments d’un souvenir traumatique.


2- Présentation synthétique de cas cliniques et traitement par la thérapie EMDR
La transcription partielle d’une séance d’EMDR illustrera le processus présenté plus haut.

- Francine a fait l’objet d’attouchement de la part de son grand-père alors qu’elle avait 13 ans. La cible choisie est une situation bien précise localisée dans le temps - vers midi, alors que la grand-mère partait toujours à la même heure faire quelques courses (dans un magasin tout proche) - et dans l’espace (dans la cave) où son grand-père avait abusé d’elle. D’autres formes de stimulations (auditives ou tactiles par des tapotements sur les mains) sont parfois utilisées à la place de la stimulation visuelle.

Le patient doit spécifiquement évoquer dans son esprit l’image d’un des aspects pénibles de l’événement passé (exemple : l’haleine de son grand-père, le rythme de sa respiration). Le thérapeute l’aide à focaliser son attention sur la dimension visuelle de la représentation traumatique qui est la plus intensément associée avec l’affect. Le patient énonce alors une conviction (cognition) négative qu’il a de lui-même et qui résulte de cet événement (exemple : je suis impuissante ou je ne peux rien faire). Cette cognition est négative parce que le sentiment d’impuissance est inapproprié ; elle est enkystée dans le système nerveux alors que le danger est dans le passé.

Le patient identifie également l’affect précisément relié à l’image (exemple : la peur, la colère, la tristesse) et évalue son intensité sur une échelle de 0 à 10 appelée le SUD (Subjective Unit of Distress : unité de détresse ressentie). En même temps, le thérapeute l’aide à identifier les sensations physiques se manifestant dans son corps (exemple : oppression dans la poitrine, mains froides…) et qui accompagnent ces images, pensées et émotions.

Le thérapeute et le patient définissent ensemble une direction pour la thérapie en identifiant aussi une cognition positive. Cette phrase doit contenir un sentiment interne de maîtrise. Cette cognition répond à la question : « Quand vous vous voyez dans cette situation, que préféreriez-vous penser de vous-même à la place de la croyance négative que vous venez d’énoncer ? » Le patient doit alors évaluer le degré de conviction qu’il associe à cette pensée positive : à quel point il la ressent comme vraie (par exemple : je ne crains plus rien aujourd’hui). Cette évaluation de la validité de la cognition positive (validity of cognition –VOC – qui va de 1 à 7) ainsi que le SUD permettent au thérapeute d’estimer le degré atteint dans la résolution du trauma, et la progression au cours du traitement vers une interprétation plus « adaptative » de l’événement traumatique.

Après cette phase initiale, le patient va se centrer sur les émotions et les sensations perturbantes du patient (c’est la phase de désensibilisation). Il va alors suivre des yeux le déplacement bilatéral de la main du thérapeute entre la gauche et la droite. Ces séries de mouvements latéraux durent de 20 secondes à quelques minutes, en fonction de la réaction émotionnelle du patient. Lors de cette phase, on trouve toutes les réactions de la personne. Il peut s’agir de souvenirs, de prises de conscience, ou d’associations diverses. C’est à chaque pause, entre chaque série de mouvements bilatéraux, que le patient rapporte « ce qui lui est venu » pendant la période d’attention flottante qui accompagne les mouvements oculaires.

Le patient porte alors son attention sur la nouvelle information, sensation ou prise de conscience et le thérapeute recommence une autre série de mouvements. Le thérapeute se retient de demander des clarifications ou des précisions sur ce que le patient rapporte. De même, il n’en donne aucune interprétation. Il continue simplement de ramener l’attention du patient sur le matériel révélé par la stimulation et amorce une nouvelle série de mouvements jusqu’à ce que les associations ne suscitent plus de changements ou jusqu’à ce que seulement des associations et sensations positives soient rapportées.

Entre les séries de mouvements oculaires, le patient parle normalement au thérapeute, décrivant généralement ce qui s’est passé pour lui pendant la stimulation. Le patient décrit ce qu’il a vu ou ressenti pendant la stimulation, un peu comme s’il s’agissait d’une rêverie concentrée. Le travail est amorcé par un événement précis ou un affect particulier, mais au fur et à mesure des mouvements oculaires, d’autres associations à d’autres événements surgissent, des pensées sur soi ou même des scénarii imaginaires. L’état émotionnel se modifie rapidement, au rythme des changements d’associations cognitives. En fonction de l’évolution du niveau de SUD et de VOC donné par le patient, le thérapeute peut ensuite décider de pousser plus loin le traitement de l’événement initial ou de commencer à traiter d’autres aspects du traumatisme. La succession des séries de stimulations tend à désamorcer les ruminations obsédantes couramment constatées chez les patients souffrant d’ESPT.

On appelle « installation » la phase suivante de la thérapie EMDR, parce qu’elle a pour but d’installer l’opinion ou la cognition positive (exemple : je suis capable de reprendre ma vie en main) identifiée par la personne afin de remplacer son opinion négative (exemple : je me sens impuissant) de départ. Pendant la phase de désensibilisation, le patient réélabore la terreur de l’événement qui l’a traumatisé et il prend conscience que maintenant les choses ont changé et qu’il dispose de forces et de ressources nouvelles qu’il n’avait pas alors en sa possession : « Je suis capable de reprendre ma vie en main. » On mesure alors avec le VOC le degré d’adhésion de la personne à cette opinion positive (sur une échelle de 0 à 7).

La phase suivante est le « scanner du corps ». Quand la cognition positive a été renforcée et installée, le thérapeute demande à la personne de garder à l’esprit l’événement-cible d’origine et de vérifier si elle ressent des tensions résiduelles dans le corps. Si c’est le cas, on se concentre sur ces sensations physiques (tensions dans le ventre, nœud dans la gorge, oppressions de la poitrine…) pour les retravailler.

Van der Kolk (1994) a montré que la plupart du temps les pensées traumatiques s’accompagnaient d’une véritable résonance physique. Le traumatisme serait comme emmagasiné dans la mémoire motrice et non dans la mémoire narrative, et que la personne conserve les émotions et les sensations physiques négatives de l’événement d’origine. Ce n’est qu’une fois traitées qu’elles peuvent migrer vers la mémoire narrative et donc être verbalisées. Les sensations corporelles et les émotions négatives qui leur étaient associées disparaissent.

C’est la raison pour laquelle une séance d’EMDR n’est véritablement terminée que si le patient peut évoquer l’image-cible sans ressentir la moindre tension corporelle. La thérapie EMDR accorde donc une place importante à la résonance physique/somatique de la souffrance psychique. Les aspects somatiques de souvenirs traumatiques sont non seulement systématiquement explorés, mais les sensations qui leurs sont associées peuvent également être des cibles privilégiées des séquences de mouvements oculaires. La capacité associative des sensations avec d’autres aspects importants de l’univers cognitif et émotionnel du patient fait de celles-ci des vecteurs cruciaux de soulagement de la souffrance psychique.

- Marie a 27 ans, elle est mariée et depuis quelques mois des souvenirs (qui au fond ne l’ont jamais quittée) lui reviennent qui sont relatifs à une tentative de viol dont elle a fait l’objet à 16 ans. Ces idées deviennent obsédantes. Idées intrusives, cauchemars, irritabilité étaient les symptômes récurrents que Marie manifeste lors de la première rencontre. L’ensemble s’accompagne d’un état dépressif encore peu prononcé



Tableau 1 : Evaluations cliniques quantitatives du cas Marie
Début de la session Début de la deuxième séance Fin de la troisième et dernière séance

(ce tableau est consultable uniquement en abonnement dans notre version papier, en cliquant ici)

Nous avons résumé dans le tableau 1 un certain nombre d’indicateurs cliniques mesurés au début et à la fin de la thérapie qui, sur le point évoqué, s’est déroulée sur trois séances de 60 minutes.
On peut noter une diminution importante des scores à l’IES et au BDI, de la même manière le SUD (évaluation de la cognition négative) diminue alors que le VOC augmente pour atteindre son seuil maximum à la fin de la troisième séance.

Eléments de la thérapie EMDR de Marie.
(Consultable uniquement en abonnement dans notre version papier, en cliquant ici)

Sur des traumas simples (type 1 ou ESPT), l’EMDR apporte des réponses parfois déconcertantes quant à son efficacité. Sur la cible présentée ici, le cas de Marie s’inscrit dans la continuité de ces patients qui se mettent à élaborer devant un thérapeute toujours intrigué. Car il s’agit bien d’élaboration et de reconsidération de ce qui faisait trauma et qui dès la deuxième et la troisième séance est rangé au rang des autres souvenirs. La patiente s’éloigne de ce qui faisait souffrance, de ce qui pendant des mois ou des années lui collait à la peau comme une maladie dont on ne peut se défaire.

Conclusion

La thérapie EMDR est un protocole de psychothérapie structuré et relativement facile à enseigner. Ce protocole regroupe les principaux éléments de la nouvelle médecine humaniste centrée sur la personne, dont l’influence s’étend rapidement dans les pays anglo-saxons depuis quinze ans, et qui commence à faire ses premiers pas en France.

Il ne fait aucun doute que la thérapie EMDR doit occuper toute sa place dans le domaine de la prise en charge des victimes. Cette thérapie bénéficie de résultats convaincants, d’études expérimentales contrôlées qui mettent en évidence son efficacité.

La recherche dans les dix prochaines années devrait se centrer sur les mécanismes d’action de la thérapie EMDR et sur son application à d’autres affections que l’ESPT. Les recherches françaises sont encore trop peu nombreuses, mais la dynamique doit maintenant s’enclencher. On ne peut à cet égard que regretter qu’elle n’ait pas suffisamment convaincu le monde universitaire encore un peu frileux à son égard, confinés dans leurs laboratoire, ces derniers restent souvent de bon théoriciens avec une clinique parfois insuffisante. Mais c’est dans la cadre d’une recherche clinique et expérimentale que l’EMDR trouvera sa légitimité, et pas seulement auprès des praticiens qui a contrario restent souvent dépourvus de connaissances théoriques suffisantes et remises à jour, et qui ne disposent que comme seule preuve de l’efficacité que leur bonne foi et des constats empiriques (les patients guérissent !). Cela est loin d’être suffisant pour convaincre des générations de psychologues et de psychiatres influencées depuis plus d’un siècle par le discours de la psychanalyse. Celui-ci n’est pas à rejeter, bien au contraire, parce qu’un praticien EMDR se doit d’avoir une excellente connaissance de la psychanalyse et de la psychopathologie en général.

Si l’EMDR est une thérapie intéressante, ce n’est pas seulement parce qu’elle permet de traiter efficacement l’ESPT et d’autres états symptomatiques ; mais aussi parce qu’elle oblige à la confrontation des modèles théoriques au-delà des frontières de la psychologie et de la psychiatrie. Elle n’est pas seulement un enjeu thérapeutique, elle est aussi et surtout un enjeu épistémologique dans lequel notre conscience de chercheur et de praticien ne peut que nous encourager à nous y engager afin de comprendre les processus en jeu, repérer les principes actifs s’ils existent, et contribuer non seulement à l’avancer des connaissances, mais aussi au bien de tous.
Les spécialistes de la victimologie et de la sexologie français ne peuvent regarder avec mépris ce qu’apporte l’EMDR. Mais il est vrai que cette méthode se développe vite et l’usage que certains en font reste parfois discutable, surtout lorsque par ailleurs ils ne sont ni psychologues, ni psychiatres, ni reconnus par les organismes légitimes pour enseigner l’EMDR.

A n’en pas douter, les praticiens et les chercheurs trouveront dans cette nouvelle forme de thérapie un intérêt clinique et un questionnement théorique qui ne pourront que les enrichir, à condition de ne pas réduire cette approche thérapeutique à une simple technique qu’il suffit d’appliquer naïvement. Il est impératif pour les praticiens de mener une réflexion sur l’intégration de cette approche dans une prise en charge globale. La thérapie EMDR ne doit pas devenir le nouveau mythe psychologique du XXIe siècle ! Ce serait là la pire des choses qu’il pourrait lui arriver. En revanche, pour des raisons trop longues à développer ici, cette approche nous amène à un questionnement de fond sur ce que devient la psychothérapie.
Débat théorique, questionnement épistémologique et ouverture théorique ! Espérons que le propos saura être contenu et que le débat idéologique ne s’en mêlera pas. Celui-ci pourrait alors prendre la forme d’une dénonciation sans connaître ou d’une idolâtrie naïve et stupide. La question est plus large et plus complexe.

Cyril Tarquinio
Psychologue à Algrange (57), Docteur en Psychologie, Professeur des Universités
Directeur du Master psychologie de la santé
Directeur des DIU de Sexologie, Psychothérapie EMDR et Psychothérapies alternatives de l’UPV de Metz
Praticien EMDR, superviseur en formation
Université Paul Verlaine de Metz
Unité de recherche APEMAC UE 4360 - Equipe EPSAM





Rédigé le 28/10/2011 modifié le 27/12/2023
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- Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO au CHTIP Collège Hypnose Thérapies… En savoir plus sur cet auteur


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