EMDR et prise en charge du psychotraumatisme. Revue Sexualités Humaines par Cyril Tarquinio

Cet exposé se fera en deux parties. Voici la première qui, de façon très pragmatique et basée sur les études, va nous permettre d’intégrer les mécanismes de base utilisables de l’EMDR face aux traumatismes sexuels.



1- Introduction

C’est un peu par hasard, en 1987, que Francine Shapiro a découvert l’EMDR alors qu’elle se promenait dans un parc. Elle opérait alors des mouvements avec ses yeux (Shapiro, 1989) et observa que les pensées négatives qui étaient alors les siennes semblaient évoluer et se transformer. Ce n’était bien entendu pas les souvenirs ou les pensées qui disparaissaient de la conscience, mais leur charge négative qui commençait à s’atténuer jusqu’à disparaître totalement.

Stupéfaite par cette sensation qui n’était pas encore une découverte, Shapiro (1989) poursuivit cette expérience en réactivant en mémoire certains mauvais souvenirs en s’imposant en contingence des mouvements rapides des yeux de la droite vers la gauche ou en diagonale. Elle proposa par la suite à des amis et autres collègues de s’adonner à la même situation afin de confirmer ce qu’elle-même avait ressenti.

Elle demandait ainsi aux volontaires sur quel aspect de leur vie passé ils souhaitaient travailler. Il ne s’agissait pas de souvenirs pathologiques, mais plutôt de dimensions du passé (brimades, humiliations…) qui aujourd’hui encore pouvaient les perturber dans leur vie d’adulte, sans que pour autant cela constitue un handicap à vivre. Afin de « contrôler » la démarche, elle proposa aux sujets de faire venir pour chacun d’entre eux ce souvenir négatif tout en concentrant leur attention visuelle sur le mouvement de va-et-vient de droite à gauche que Francine Shapiro opérait avec ses doigts en prenant soin de « répliquer » ce qu’elle-même avait fait dans le parc quelque temps auparavant.

Six mois après ses premières observations empiriques et 70 sujets plus tard, Shapiro avait fait évoluer sa démarche, en essayant différents types de mouvements (plus ou moins rapides, plus ou moins amples, horizontaux et obliques), et en demandant aux sujets de se focaliser sur différents aspects des traces mnésiques du souvenir négatif. L’ensemble de ces évolutions a conduit pour tous les sujets à une réduction de la charge négative du souvenir, et surtout à une diminution sensible du niveau d’anxiété provoqué par ces mêmes souvenirs. Elle baptisa la méthode Eye Movement Desensitization (EMD).

Le changement de dénomination d’EMD à EMDR (Eye Movement Desentization and Reprocessing) est intervenu en 1990, après que la démarche ait pu mettre en évidence des effets de restructuration de la mémoire, d’augmentation du sentiment d’efficacité et de contrôle des victimes, ainsi que d’un traitement plus adapté des événements traumatiques en mémoire. Depuis 1989, de nombreuses publications ont mis en évidence l’efficacité de la méthode EMDR, et en moins de dix ans la thérapie est devenue le mode de traitement psychothérapeutique du PTSD (ou ESPT : Etat de stress post-traumatique) ayant donné lieu à un grand nombre d’études.

Il y a en effet aujourd’hui plus de publications d’études contrôlées sur le traitement de l’ESPT par la thérapie EMDR que par tout autre type d’interventions cliniques, y compris les traitements médicamenteux (cf. National Center for PTSD). Et les recommandations pour l’usage de cette approche thérapeutique ne manquent pas et proviennent des plus éminentes sociétés savantes reconnues sur le plan international quant à leurs compétences en ce qui concerne la question du syndrome de stress post-traumatique.

On peut considérer la thérapie EMDR comme une approche intégrative, dialectique et comportementale qui utilise simultanément image, cognition et sensation corporelle. Son usage dépasse aujourd’hui le seul traitement de l’Etat de stress post-traumatique, avec des résultats plus qu’encourageants dans la prise en charge des deuils, des situations conflictuelles, des phobies, de certaines formes de dépression, ou encore dans la gestion de la douleur.


2- Quelques éléments théoriques

Nous avons fait le choix d’orienter cette présentation autour de deux aspects qui restent selon nous les plus documentés pour expliquer les effets de l’EMDR. Le premier concernera la conception du système de traitement de l’information orienté vers l’adaptation, alors que le second traitera plus particulièrement de la fonction et du rôle des mouvements oculaires.



1.1. EMDR, cognition et adaptation


L’un des supports théorique de l’EMDR est de considérer que le psychisme a la faculté de métaboliser la majorité des vécus traumatiques. Certains vécus vont se figer en souvenirs traumatiques qui, réactivés, déterminent des pensées, des émotions et des sensations pathologiques. Ils s’impriment sur des sites virtuels organisés en réseau de mémoire.

La première hypothèse de Shapiro & Forrest (1997), qui est à l’origine de cette méthode, se fondait en fait sur les travaux de Pavlov (1927), qui présupposait l’existence dans le cerveau d’un équilibre entre excitation et inhibition, responsable de son fonctionnement normal. Si quelque chose venait provoquer un quelconque déséquilibre, il en résultait une pathologie neuronale, comme un « nœud dans le câblage ».

Selon Pavlov, pour revenir à l’état d’équilibre et le traiter, il fallait restaurer l’équilibre entre excitation et inhibition. Sur ces bases, Shapiro a fait l’hypothèse que le traumatisme pouvait causer une sorte de surexcitation du système nerveux et que les mouvements oculaires allaient engendrer un effet inhibiteur (ou relaxant) pour la contrebalancer. C’est l’idée d’un traitement adaptatif de l’information conduisant l’organisme à une résolution adaptée, c’est-à-dire à des associations appropriées qui vont permettre au patient de faire quelque chose de ce qui lui est arrivé en transformant et en intégrant dans un nouveau schéma positif et constructif ses cognitions et ses émotions qui guide toute la démarche EMDR (Adaptative Information Processing Model).

Par exemple, un enfant victime de moqueries dans une cour d’école ou de comportements blessants, sera touché voire perturbé dans son quotidien. Si dans un premier temps il ne cesse d’y penser, cette expérience est le plus souvent digérée et servira de guide pour ses comportements à venir avec ses pairs. Cette expérience une fois élaborée et traitée permet à l’enfant de mieux se connaître et de mieux connaître son environnement social, ce qui le conduit à s’y comporter de manière plus adaptée.

Ainsi, confronté à une expérience traumatique, le sujet pourra être perturbé jusque dans le fonctionnement de son système nerveux et de ses cognitions. Si l’événement traumatique ne peut être élaboré, il persistera en l’état avec son cortège de symptômes (idées intrusives, cauchemars, sensations physiques…).
Cette approche est consistante avec le modèle de traitement de l’information d’Horowitz (1979, 1986) qui conçoit les symptômes post-traumatiques comme une réaction au nombre excessif de données que constitue l’expérience traumatique. L’ESPT découlerait de l’incapacité de la victime à intégrer adéquatement ces nouvelles informations au sein de ses schémas cognitifs antérieurs.

La résorption des symptômes dépend donc de l’intégration de l’expérience traumatique.

La trame majeure de la thérapie EMDR peut se résumer de la façon suivante :

1. Les réseaux mnésiques sont à l’origine de nos perceptions, de nos attitudes et de nos comportements.
2. Le système de traitement de l’information conduit le matériel dysfonctionnel (qui peut être de nature traumatique) vers une solution.
3. Tout événement stressant petit ou grand peut constituer l’origine d’une pathologie.
4. Une perturbation du système de traitement de l’information empêche le traitement du matériel, ce qui conduit à un stockage non adapté et dysfonctionnel de celui-ci.
5. Lorsque la perception du présent renvoie aux réseaux mnésiques, les manifestations des souvenirs anciens non élaborés (digérés, métabolisés…) réapparaissent.
6. Les manifestations du souvenir non élaborées (digérées, métabolisées…) changent durant le processus de traitement s’orientant vers une solution adaptative (c’est-à-dire positive et optimale pour le sujet).
7. Les nouvelles cognitions, les nouvelles perceptions, valeurs et compréhension du sujet, les changements dans le ressenti, les réactions physiques et émotionnelles sont des conséquences du processus de traitement qui doit conduire à la désensibilisation.

La thérapie EMDR contient de nombreux éléments qui contribuent aux effets du traitement. Si de nombreuses études ont validé la méthodologie de la thérapie EMDR, il subsiste des questions concernant son mécanisme d’action. Comme nous l’avons évoqué précédemment pour expliquer les effets cliniques de la thérapie EMDR et guider sa pratique, les auteurs se réfèrent à un modèle de traitement de l’information (Shapiro, 2001).

Or, ce modèle n’est lié à aucun mécanisme neurobiologique précis, dans la mesure où la science est encore aujourd’hui dans l’impossibilité de déterminer ce qui se passe, au plan neurobiologique, au cours d’une psychothérapie quelconque (comme pour beaucoup de traitements médicamenteux).


2.2. De la fonction des mouvements oculaires

L’attention des chercheurs s’est surtout portée sur les mouvements oculaires (et d’autres formes de stimulation bilatérale) susceptibles de constituer l’un des principes actifs de la démarche. Un parallèle est à faire avec ce qui se passe dans le sommeil à mouvements oculaires rapides (Rapid Eyes Movement - REM).
En effet, les mouvements oculaires rapides surviennent au cours des états de rêve et il existe de plus en plus de preuves montrant que le rôle des rêves est d’élaborer et de digérer psychiquement les vécus de la vie réelle (Carskadon, 1993).

Il semble que lorsque des souvenirs pénibles apparaissent dans les rêves, les mouvements oculaires rapides induisent un effet de détente qui permet le traitement psychique de ces expériences. Un parallèle a été fait avec la théorie de « l’inhibition réciproque » de Wolpe (1990, 1991), que ce dernier considérait comme responsable du soulagement de l’anxiété dans son traitement systématique de désensibilisation.


Cyril Tarquinio pour la Revue Sexualités Humaines



Rédigé le 19/05/2011 modifié le 27/12/2023
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Coach spécialisée en Sexologie, Praticienne en Hypnose Thérapeutique, EMDR IMO à Paris,… En savoir plus sur cet auteur


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