Communication et médecine d’urgence préhospitalière. Formation Hypnose et Congrès 2007

Docteur Philippe Rault
Anesthésiste Réanimateur
Formation en Hypnose
Formation en Hypnose Ericksonienne
Syndrome de Stress Post Traumatique



La confrontation à une urgence vitale extra-hospitalière médicale ou traumatologique génère légitimement stress et anxiété chez le patient et sa famille. De l'appel téléphonique jusqu'à l'éventuelle intervention de médecine préhospitalière, le médecin devra savoir s'intégrer dans un système faisant intervenir de nombreux acteurs dont certains ne participent pas directement aux secours (force de l'ordre, journalistes, élus).

Ainsi, le praticien aura tout à la fois besoin :

- de comprendre et répondre aux demandes du patient et de sa famille mais aussi à celles des autres acteurs des secours,
- d'assurer une prise en charge médicale optimale dans un environnement parfois hostile que ce soit sur le plan physique et/ou psychologique,
- de faire accepter ses décisions et d'accepter celles des autres,
- d'éviter l'émergence de conflits ou participer à les désamorcer s'ils se sont produits,
- de faire émerger chez le patient ses ressources de guérison.

Pour tout cela le praticien qui maîtrise certaines techniques de communication voit son efficacité augmenter parallèlement à sa sérénité. Nous voudrions apporter notre expérience de terrain dans ce domaine.


L’URGENCE EXTRA-HOSPITALIERE
L'alerte téléphonique
En France, les appels à caractère médical transitent par le Service d'Aide Médicale Urgente - SAMU (glossaire) départemental. Le décroché téléphonique revient au Permanencier Auxiliaire de Régulation Médicale – PARM (glossaire) qui note le motif de l’appel, l’identité et les coordonnées géographiques de l'appelant. L'appel est ensuite transmis au médecin régulateur (glossaire) qui fait le choix du moyen de secours le plus adapté sur la foi des données d'interrogatoire.
Les décisions prises dans ce contexte sont parfois à l'origine de divergences d’appréciations entre les interlocuteurs et, à la prise en compte de l’élément spécifiquement médical, peut se rajouter les difficultés de la relation humaine.

Sur les lieux d'une urgence extra-hospitalière
Le médecin régulateur prend donc parfois la décision d'envoyer sur les lieux de l'appel une équipe médicalisée, l'équipe du Service Mobile d'Urgence et de Réanimation - SMUR (glossaire). Cette équipe dite d'intervention primaire (glossaire) est alors intégrée au sein d'un réseau comprenant des intervenants multiples et aux intérêts variés et parfois divergents :
- le patient et sa famille,
- les confrères : médecin généraliste, médecin sapeur pompier,
- les transporteurs : sapeurs pompiers, ambulanciers privés,
- les représentants d’autres institutions : les forces de l'ordre, un élu,
- les médias : journaliste, photographe, caméraman de télévision.
La logique propre à chaque intervenant rend possible des désaccords le plus souvent d'ailleurs sur la forme que sur le fond.

Le patient et le stress
Le patient et/ou son entourage restent des observateurs attentifs du déroulement des secours et il convient de veiller au mieux à leur confort moral dans des conditions parfois dramatiques où le stress est majeur. L'évènement traumatisant peut laisser des séquelles importantes que ce soit pour le patient mais aussi pour sa famille ou les témoins : c'est le Syndrome de Stress Post Traumatique .
Il est possible d'envisager que, par des techniques de communication adaptée, nous puissions limiter les troubles psychologiques post agressifs.
Gardons également à l'esprit que le patient est notre plus fidèle partenaire, qu'il possède ses ressources, souvent insoupçonnées, pour aller vers l'amélioration et qu'il faut faire confiance à son désir de guérir.


ON NE PEUT PAS NE PAS COMMUNIQUER
Langage verbal, langage non verbal
Le XXème siècle a vu l'émergence de l'école de Palo Alto (Californie) et il est maintenant classique d'indiquer que la communication s'articule autour de 2 axes :
- le langage verbal qui constitue le fond du discours : il concerne le choix des mots et véhicule les données d’information. On parle parfois de langage digital.
- le langage non verbal qui constitue la forme du discours : il est basé sur les modulations de la voix, son intensité, le débit des paroles et sur la façon de positionner le corps, de de déplacer et véhicule d'avantage la relation. On parle de langage analogique.
La congruence, l'harmonie entre ces différents éléments structure, crédibilise la communication et augmente sa pertinence.La congruence représente une manifestation d'authenticité qui peut favoriser le même type de comportement chez l'interlocuteur.

L’interaction
Chaque participant progresse selon sa logique interne et celle du médecin n’est pas forcément celle du pompier ou du gendarme alors que le but final est le même. A la notion d'interaction se rattache les concepts suivants :

* Circularité, rétro-action
Ce concept nous invite à s'assurer que le message émis a été bien compris par l‘interlocuteur. En effet, ce qui est important dans la communication ce n'est pas seulement ce qui est dit par l'émetteur, mais ce qui est reçu par le récepteur : cela implique, si nécessaire de reformuler le message.

* Position haute - position basse
Dans l’interaction, celui qui prend la position haute indique autorité, savoir, montre qu’il a raison, qu’il connaît et maîtrise : c’est potentiellement une position fragile, consommatrice d’énergie car il faut régulièrement prouver sa supériorité. En position basse cette nécessité n'existe plus : il s'agit plutôt d’accepter de se placer en retrait avec une certaine modestie, voire de l’humilité. Cette position est stable. Ainsi le médecin est d'emblée placé en position haute de part son statut et le patient en position basse. Les autres intervenants (pompiers, force de l'ordre, élus) peuvent, à certains moments, revendiquer la position haute.

* Position symétrique - position complémentaire
Dans la relation, chacun est amené à promouvoir, à défendre son point de vue vers l’objectif commun et l’accord peut se faire soit dans la rivalité ce qui correspond à la symétrisation de la relation ou dans l’harmonie ce qui correspond à la complémentarité. La position complémentaire possède l’intérêt de s’accommoder de points de désaccord, nécessite maturité et effacement de l’individu au service du bénéfice ultérieur des protagonistes. Plus le nombre d'intervenants augmente et plus les risques de symétrisation augmentent, rendant le conflit d'autant plus possible.

PROPOSITIONS PRATIC
Positif, RéActif, Technique, Imaginatif, Calme
En situation d'urgence il faut rester PRATIC

- Positif : rechercher les aspects positifs dans les propos ou les comportements de l’interlocuteur, questionner, préférer les phrases exprimées sur un mode positif, préférer ce qui est valorisant.
- RéActif : attentif à l'environnement, aux réactions des personnes impliquées en sachant rester à l'écoute. Savoir être acteur, mais en même temps prendre de la distance pour évaluer les résultats obtenus.
- Technique : que ce soit les techniques de sauvegarde du patient que les techniques de communication
- Imaginatif : pour trouver ce qui sera recevable par l'interlocuteur, pour utiliser une métaphore permettant de faire passer un message plus subtilement.
- Calme : expérimenter le calme en soi pour influencer dans le même sens le patient et les intervenants : calme dans la conversation et aussi dans les déplacements.

Le comportement non verbal
- Se déplacer sans précipitation et limiter le nombre des intervenants.
- Adapter sa voix : l'intensité baisse, la voix devient monocorde, insérer des silences réceptifs entrecoupés de « hum, je vois » « oui, je comprends ».
- Messages d'attention : synchronisation gestuelle, corps penché en avant, hochements de tête.
- Dire les mots positifs sur l'expiration, en les entourant d'une courte pause.
- Savoir ne rien dire dans certaines situations
- Savoir l'importance du contact physique.

Le comportement verbal
Il faut garder à l'esprit que la logique habituelle du discours ne semble plus appropriée en situation aiguë : les explications rationnelles n'ont plus cours, l'esprit filtre et organise les informations selon une logique différente .
Rester simple et sobre. Il nous semble pertinent de :
- Décrire plutôt qu'expliquer : « cette perfusion participe à votre sécurité » plutôt que « je vais vous poser une perfusion car votre tension est très basse ».
- Enoncer des vérités de base ou truismes, énoncés banals d'une évidence qui rassurent « les secours sont arrivés », « je prépare un calmant »
- Faire appel aux ressources du patient : « vous avez déjà su faire face »

Donner des permissions. Permettre l'expression de la douleur et/ou de l'anxiété (pleurs, cris), de la colère : « vous pouvez pleurer si vous le désirez » plutôt que « allons, il ne faut pas pleurer… », au lieu de dire « détendez-vous, respirez tranquillement »on préfèrera : « lorsque vous serez prêt, vous pourrez vous … détendre … à votre rythme » .

Employer les suggestions indirectes.
- suggestion composée : « Pendant que vous m'écoutez, le cœur devient plus calme, »
- suggestion paradoxale : « vous n'êtes pas obligé de vous … détendre … maintenant, »
- séquence d'acceptation : « vous avez fait un malaise, vous êtes tombé et maintenant … cela va mieux. »

Modifier les positions
L’interaction est un mélange des différentes positions décrites et de la capacité à passer de l'une à l’autre en restant "PRATIC".
Passer en position basse, on pourra employer :
- la connotation positive des actions de l'interlocuteur, mais sans flatterie
- le questionnement bien que la réponse soit déjà parfois connue
- les truismes ce qui revient à dire des évidences.
Passer en position complémentaire, il est possible d'utiliser :
- la triangulation c'est-à-dire l'introduction d'un tiers dans l'interaction,
- la reformulation qui permet de faire avancer la dynamique de la relation en reprenant ce qui a été compris du message de l'interlocuteur.

Mémorisation périopératoire
Toutes les notions décrites jusqu'à présent sous-entendent que le patient est conscient. Il convient cependant de garder en mémoire que nous ne connaissons qu' imparfaitement le degré d'intégration des informations entendues par le patient lorsque celui-ci présente des troubles de conscience ou lorsqu'il bénéficie d'une anesthésie générale. Dans le domaine de l'anesthésie-réanimation, certaines publications font en effet état de mémorisation d'informations entendues pendant une anesthésie générale : c'est le concept de mémorisation périoprératoire . Cette mémorisation, favorisée par le stress peut aboutir à un véritable SSPT. Il nous semble donc qu'il convient de rester attentif aux mots prononcés quelque soit le statut neurologique du patient.


Rédigé le 03/12/2008 modifié le 12/12/2008
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