Une princesse sur l'autoroute. Fannie LANGLOIS

Coup de coeur de Franck GARDEN-BRECHE sur ce livre de Fannie LANGLOIS, auteur Canadienne



«J'ai découvert, écrit Pascal, que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.» Pourtant, on le sait, le malheur est résolument polymorphe et peut surgir aussi bien de la chambre et de l'immobilité — surtout lorsqu'on nous les impose.

À preuve, quelques exemples récents de huis clos romanesques où les personnages sont, c'est selon, prisonniers de leurs illusions ou de l'impossibilité de communiquer et d'aimer.

Enfuie d'un laboratoire, près de Trois-Rivières, où elle se croyait soumise à d'étranges expériences au cours desquelles on lui faisait revivre «ce que d'autres femmes avaient vécu», la protagoniste d'Une princesse sur l'autoroute, le second roman très onirique de Fannie Langlois (après L'Urne voilée, Varia, 2004), vit entre le rêve et la réalité.

Dans sa fuite, elle fera la rencontre d'un homme qui la conduit jusqu'à Montréal, où elle se livre rapidement à la prostitution. Là-bas, Laïka (le nom d'une célèbre chienne russe) renverse l'humiliation et l'enfermement. Elle se transforme en dominatrice patentée qui prend plaisir, cravache à la main, à voir un homme «lécher le cuir verni de [s]es stilettos».

En parallèle, Fannie Langlois développe l'histoire d'une autre captive et d'une autre fuite: celle de Magdala, campée dans une Occitanie du XIIIe siècle sur fond de Templiers. Le lien entre les deux femmes est de l'ordre de la symbiose: «Elle revit grâce au champ magnétique qu'ils créent en modifiant mon énergie. Elle est venue dans mon corps pour l'habiter. Nous sommes deux maintenant.»

C'est la trame de ce court roman sombre, un peu décousu, fabriqué d'épaisses couches métaphoriques. Une fiction où semblent dominer l'idée de l'abandon et de la culpabilité maternelle, la schizophrénie, l'enfermement et la dégradation. À travers une exploration onirique, mais un peu lourde, du motif sadomasochiste du donjon, Fannie Langlois semble surtout mettre en question la condition féminine.

Repos forcé

Obligé de pondre une histoire sans queue ni tête (la sienne) sur des feuilles qu'on lui apporte par petites liasses, le protagoniste de La Chambre, le premier roman de Simon Lambert, ne respire pas non plus vraiment le bonheur.

Vaguement amnésique, mais refusant de céder à la panique, poursuivant une quête dont il ne connaît pas le nom, il est forcé à subir ce face à face avec lui-même. Un supplice, croit-il, «trop bien choisi pour n'être que l'effet du hasard».

Les seuls contacts de ce «condamné à écrire» sont avec une femme du nom de Martha qui lui apporte ses repas et la matière première pour coucher ses confessions imaginaires. Quel-ques personnages mystérieux gravitent dans ses souvenirs (le toréro, l'universitaire, l'ensorceleuse). Ajoutez à cela une confuse histoire de chevalier rédigée au dos des feuilles qu'on lui apporte, et la cohorte semblera complète.

Métaphore artistique? Allusion psychiatrique? Elles abondent, les raisons d'être enfermé (plus ou moins) contre son gré entre quatre murs. À y produire son fiel ou à remonter inlassablement son caillou sur la pente savonneuse de la création.

Empilant les couches successives de mystère, peuplé de rares personnages qui communiquent avec des dialogues d'autistes, Simon Lambert construit avec La Chambre un univers clair-obscur qui rappelle vaguement le premier Paul Auster, mais sans sa limpidité de conteur d'histoire.

Croissance personnelle

D'un intérêt peut-être plus modéré sur le plan littéraire, L'Homme errata, de Jean-François Casabonne, comédien connu et auteur de quelques ouvrages (récit, poèmes), aborde quant à lui l'enfermement sur un mode encore plus allégorique que les ouvrages précédents.

Kidnappé par des inconnus avides de rançon, le narrateur est enfermé dans un cachot au milieu d'une jungle où il «a perdu toute notion de ce qui est notion». Plongé dans le silence forcé et la solitude, Alex (c'est le nom dont il se souvient) est tout à coup frappé par un constat qui lui semble ahurissant: «Zéro amour ne m'habite.»

Là où le captif de Simon Lambert était condamné à l'écriture, celui de Jean-François Casabonne est forcé plus clairement au travail sur lui-même. Une sorte d'homme-serpent lui apparaît, pré-conscience de l'enfant (Zac) qu'il n'a pas eu encore, qui le sort de son trou et lui fait remonter à la surface des «souvenirs boueux» au cours d'un voyage initiatique qui le transformera.

Avec le serpent, c'est bien entendu l'idée d'une «mue» qui s'impose. Et L'Homme errata, malgré les détours obscurs qu'il emprunte, apparaît comme le fruit d'une épiphanie intime et spirituelle liée à l'amour et à la paternité.

Bibliographie

Langlois, Fannie. Une princesse sur l'autoroute, roman, Éditions Triptyque, Montréal, 2010, 123 p.

Langlois, Fannie. L’Urne voilée, récit poétique, Éditions Varia, Montréal, 2004, 132 p.

Langlois, Fannie Emmanuelle. «Sœurs de fer», poème paru dans le recueil collectif Le 11 septembre des poètes du Québec sous la direction de Louis Royer, Éditions Trait d’union, Montréal, 2002, p.134 (250p.)

Langlois, Fannie. «La chambre close», poème en prose paru dans le recueil collectif Rayon d’azur sombre, Les Éditions Lavalloises, Laval, 2001, p.31 à 34 ( 48 p.)

Langlois, Fannie. «Souvenirs de Prague», poème en prose paru dans le recueil collectif Clair obscur : deux-mille et un visages à Montréal, Les Éditions Lavalloises, Laval, 2000,
p.46-47 (70 p.)

Rédigé le 12/05/2011 modifié le 12/05/2011
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