Souffrances hystériques : des solutions à foison. Dr Dominique Megglé

Psychiatre expérimenté et pionnier de l’hypnose française, Dominique Megglé se devait de s’intéresser aux patients qu’on appelait autrefois les «hystériques ». Et si ce mot pouvait avoir encore un sens utile, générateur de solutions thérapeutiques ?



« Hystérie » vient du grec ustera (utérus), parce que les Anciens pensaient que ses symptômes multiformes venaient de ce que l’utérus était affolé, sa baladait dans le corps et s’y cognait ici et là à la recherche d’une porte de sortie. Elle est la vieille ennemie du médecin et une énorme question qui traverse l’humanité à toutes les époques et sous toutes les latitudes. Elle est responsable de tonnes de littérature romanesque, théâtrale, philosophique, psychologique et scientifique.

Elle est responsable aussi de la naissance de la psychiatrie en France en 1968 par divorce de celle-ci de la neurologie : à la première, les symptômes psychogènes, sans base organique, dits « hystériques » ; à la seconde, les « vraies » maladies du cerveau. Elle a même fini par être expulsée des classifications modernes de la psychiatrie (DSM) depuis les années 1980 parce qu’inclassable pour des esprits rationnels formés aux tableurs informatiques et cependant toujours là, gênante. Plus on veut la nier, plus elle réapparaît ; à chaque fois qu’on veut lui couper la tête, celle-ci repousse ou d’autres têtes apparaissent.

C’est Freud, à la fin du XIXe siècle, qui a commencé à comprendre, enfin, quelque chose à l’hystérie. Il nous en a laissé d’admirables études. Cent ans plus tard ou à peu près, Lucien Israël, psychanalyste lacanien strasbourgeois, a complété ses travaux dans son extraordinaire livre L’hystérique, le sexe et le médecin.

LE COMBAT DE L’HYSTÉRIQUE

L’hystérie est une souffrance de l’affectivité. La patiente se sent tellement creuse qu’elle ne parvient à se sentir exister que dans le désir de l’Autre. Ce désir doit donc toujours rester allumé, et le plaisir de la consommation évité car il est la mort du désir : il l’éteint puisqu’il le conclut. Toutes les manœuvres sont bonnes pour maintenir éveillé l’intérêt de l’Autre, intérêt sexuel mais pas seulement. Il s’agit surtout de poser une passionnante énigme indéchiffrable à l’Autre pour qu’il soit attrapé dans ses filets. L’hystérique jouera ensuite de son prisonnier suivant ses caprices, et plus elle
en jouera, plus elle se sentira vivante.

L’hystérie est une réaction du faible au fort : la femme vide qui se croit inintéressante, s’est souvent choisi un mari qui prend toute la place, comme un père idéalisé ainsi rassurant. Elle est momentanément tranquillisée. Rapidement, elle le trouve autoritaire, sourd à ses demandes d’échanges, et se sent tellement opprimée qu’elle pense n’avoir aucune voix au chapitre. C’est le cas, mais c’est ce qu’elle voulait. Au début, mais plus maintenant. De jour en jour, elle se croit encore plus creuse. Alors, un jour, elle décide de passer sur un autre mode de communication pour qu’enfin lui et le monde entier s’intéressent à elle et tenir sa revanche contre tous. C’est le mode hystérique. Il est très efficace, mais très dangereux.

Notre hystérique apparaît, dans son combat, comme la Petite Chèvre de Monsieur Seguin. Elle va se battre contre le loup jusqu’au point du jour et finir par se faire dévorer par lui. Certaines ont la sagesse de s’arrêter en cours dans cette lutte inégale parce qu’elles finissent par constater qu’elles ne sont pas si vides qu’elles le croyaient, qu’elles sont intéressantes parce que simplement réelles, et trouvent intéressant leurs relations à des degrés divers qui varient beaucoup suivant les uns et les autres. Elles sont guéries. Avec les expériences de la vie, beaucoup d’hystériques guérissent. La thérapie peut aussi les y aider.

Comment combat l’hystérique ? Elle pose des énigmes, des symptômes somatiques, psychiques et comportementaux spectaculaires ou sourdement inquiétants, dramatiques et intrigants. L’entourage et les médecins, aux quatre cents coups, ne peuvent pas ne pas tenter de les résoudre, et ce faisant, s’y cassent les dents de plus en plus et y comprennent de moins en moins. A la fin, elle sera la perdante. Elle sera taxée de folle par les médecins et les mâles dominants de son entourage, lassés et exaspérés. S’ensuit une escalade. Pour réveiller cet intérêt perdu pour elle, elle produira encore plus de symptômes, ce qui confirmera aux proches qu’elle est vraiment folle. Et elle se retrouvera à l’asile. Mais le pire qui pourrait lui arriver n’est pas là. Le pire serait qu’en cours de route, ses proches se désintéressassent complètement et durablement de ses provocations. Elle aura beau alors agiter ses petites jambes, c’est dans le vide, cela ne marche plus. Elle ne compte plus, elle est devenue inexistante. Elle n’a plus rien à quoi se raccrocher. Elle est brutalement renvoyée à sa sensation de vide intérieur. Cette confrontation la plonge dans une dépression très sévère, une des plus graves de toute la pathologie mentale, souvent plus grave que la mélancolie des bipolaires parce que bien moins accessible thérapeutiquement. Et elle se tue, comme Madame Bovary. D’ailleurs, un certain nombre de sujets diagnostiqués comme des mélancoliques résistants au traitement sont des hystériques qui dépriment.

UNE UTILISATION PATHOLOGIQUE DE L’HYPNOSE

Et quelles sont ces énigmes, ces symptômes que l’hystérique pose, qui sollicitent si rudement l’entourage et les médecins ? Diversement, éventuellement tour à tour, elle perd connaissance à répétition, devient soudainement confuse, comateuse, aveugle, sourde, amnésique, ou paralysée.
Les examens cliniques et paracliniques ne trouvent aucune lésion d’organe, malgré les plus grands approfondissements. Pourtant, les symptômes, massifs et inquiétants, sont là. Et il ne s’agit pas de simulations volontaires : il est patent qu’elle ne fait pas semblant. Ce n’est pas de l’artifice, du mensonge, du trucage. Le mystère s’épaissit d’autant. Qu’est-ce que c’est ? Tout le monde est en échec pour répondre à la question et reste en haleine. Tout le monde en échec, sauf l’hypnotiste.

En hypnose, chez des sujets normaux, il est facile de produire tous ces symptômes comme de les supprimer. Ce sont des phénomènes hypnotiques naturels et banals. Chez l’hystérique, ce qui n’est pas banal, c’est d’en produire spontanément autant, à profusion. Véritablement, elle se « shoote » à l’hypnose. En fait, elle utilise ces phénomènes normaux à des fins affectives déréglées, pour rester dans le désir de l’Autre, pour maintenir l’intérêt de celui-ci éveillé pour elle et ainsi se sentir existante, une fois qu’elle a constaté que c’était pour lui une énigme. Alors, elle devient une frénétique des manifestations hypnotiques qu’elle donne à voir à foison. C’est ce but, commandé par sa misère affective, qu’elle vise qui est pathologique, pas l’hypnose elle-même. Là réside l’hystérie, pathologie affective qui se sert maladivement de l’hypnose normale.


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Rédigé le 26/03/2015 modifié le 31/03/2015
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Dr Thierry SERVILLAT, Psychiatre, Ancien Président de la Confédération Francophone d'Hypnose et… En savoir plus sur cet auteur


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