Revue HYPNOSE & Thérapies Brèves: EMDR : Des yeux pour guérir ? Francine Shapiro

EMDR, Histoire de l' EMDR

Eric BARDOT, Institut Milton H Erickson Nantes
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Francine Shapiro est née en 1949 mais sa vie va basculer, à l’âge de 30 ans, en 1979. A cette époque, elle obtient un doctorat de littérature anglaise à l’université de New York à partir de l’œuvre poétique de Thomas Hardy. C’est un auteur du XIXe siècle dont les romans sont profondément ancrés dans les paysages et la société paysanne du Sud de l’Angleterre sous l’ère victorienne. À partir de ces études de texte, elle s’intéresse à éclairer notre culture.

Elle va être influencée par ses discussions avec ses professeurs d’anglais, particulièrement celles portant sur les interactions entre les multiples facettes d’une œuvre, sur les rapports de cause à effet entre les comportements des personnages et leur contexte de vie.
Elle apprend à cette époque qu’elle a un cancer ce qui, dit-elle, a profondément changé sa vie.
Après la chirurgie et les rayons, les médecins lui auraient dit : « Apparemment, vous ne l’avez plus, mais ça revient chez certains patients. On ne sait pas chez qui, ni comment. Bonne chance », paroles qui l’ont choquée et déterminée, alors, à une lecture particulièrement motivée des publications sur le cancer, sur le rôle du stress dans le déclenchement et l’aggravation de la maladie. C’est ainsi qu’elle va s’intéresser pendant une vingtaine d’années à la psychologie, aux liens corps-esprit afin de chercher à prévenir une éventuelle rechute.

Après son divorce, elle quitte New York pour la Californie et va explorer diverses formes de psychothérapies à la recherche de traitements efficaces du stress.
Tout particulièrement sensible à la prescription du rire de Norman Cousins, elle explore aussi la méditation, l’imagerie guidée de Simonton et l’hypnose ericksonnienne. En 1980, elle aurait fait des stages avec Grinder le concepteur de la PNL (la Programmation Neurolinguistique) qui lui aurait parlé d’une technique de PNL de traitement du trauma psychique par les mouvements oculaires. Cette technique deviendra plus tard l’Intégration par les Mouvements Oculaires.

C’est en 1987, à l’âge de 38 ans, doctorante en psychologie à la « Professionnal School for Psychological Studies » qu’elle fait son expérience princeps qu’elle raconte ainsi :
« L’idée de l’EMDR a germé un après-midi ensoleillé de 1987.
J’avais pris un moment pour faire le tour d’un petit lac. C’était le printemps. Des canards nageaient et, sur les immenses pelouses vertes, des mères avaient posé des couvertures pour s’allonger avec leurs bébés. Pendant que je marchais, une chose bizarre s’est produite. J’avais pensé à quelque chose de perturbant, je ne me rappelle même plus quoi, simplement une de ces petites pensées négatives obsédantes qu’on remâche (sans arriver à la digérer) jusqu’à ce qu’on les chasse exprès. La chose bizarre, c’est que mon idée obsédante avait disparu. Toute seule. Quand je l’ai ramenée à ma conscience, je me suis rendu compte que sa charge émotionnelle négative n’était plus là. Je dois avouer qu’un de mes héros, au collège, était Mr Spock, dans Star Treck. Comme lui, j’avais toujours considéré les émotions comme un défi, mais je n’avais jamais remarqué un changement aussi rapide dans mes pensées et mes sentiments. Il y avait huit ans que j’étais mon propre laboratoire pour mes recherches sur les liens corps-esprit, et ce changement émotionnel suscita chez moi un intérêt considérable.
Poursuivant mon chemin, je commençais à m’observer attentivement. Je remarquai que chaque fois qu’une idée dérangeante apparaissait à ma conscience, mes yeux faisaient spontanément des va-et-vient. Ils suivaient rapidement et répétitivement une diagonale, d’en bas à gauche à en haut à droite. En même temps, je notais que l’idée désagréable était sortie de mon esprit et que, quand je l’y ramenais, elle ne me dérangeait plus autant. J’étais intriguée. J’essayais de le faire délibérément : je pensai à quelque chose d’autre qui provoquait en moi une petite anxiété et cette fois je fis intentionnellement les rapides mouvements des yeux. La pensée disparut, elle aussi. Et quand je la ramenais à mon esprit, sa charge émotionnelle négative n’était plus là. »

Elle essaie avec des amis, des étudiants et prend comme sujet de thèse « la désensibilisation du traumatisme par les mouvements oculaires ». Sa technique est testée sur 70 volontaires avec des séances d’une heure au cours desquelles elle leur demande leur niveau de détresse ainsi que de se focaliser sur le souvenir traumatique. Les mouvements oculaires utilisés, alors, sont rapides et saccadés. Elle constate que les sujets perdent la plus grande partie de leur vécu de détresse, trouvent des expressions d’eux-mêmes plus positives et réalistes et aussi découvre après vérification, que les effets sont durables sur une période de trois mois.
Parallèlement, elle deviendra chercheuse associée au Mental Research Institutes de Palo Alto.
Palo Alto est le centre de thérapie brève systémique dirigé par Dick Fisch et Paul Watzlawick à partir des travaux de Grégory Bateson, Jay Haley, John Weakland et Don Jackson.
En1988, elle présente sa thèse en psychologie comportementale et obtient son PhD (docteur en psychologie). Lors d’une conférence, elle rencontre Joseph Wolpe, psychiatre sud-africain, professeur de psychiatrie à la Temple University Médical School de Phyladelphie et pionnier du béhaviorisme (thérapies comportementales). A partir, entre autres, de son expérience de l’hypnose, Wolpe a développé le concept d’inhibition réciproque et mis au point la désensibilisation systématique. Cette technique était considérée comme la méthode la plus efficace dans le Stress Post Traumatique. Il apprend au patient à se détendre puis l’amène à approcher progressivement les situations ou les objets qui l’effraient. C’est également à Wolpe que l’on doit l’utilisation de l’échelle SUDS : échelle subjective d’évaluation de la détresse cotée de 0 à 10 ou 10 est le plus perturbé et 0 le plus calme. Cette échelle est utilisée couramment pour évaluer le vécu douloureux sous le nom d’échelle visuelle analogique.
Wolpe va accepter de publier son article sur l’utilisation des mouvements oculaires dans le journal de thérapie comportementale et de psychologie expérimentale. Lui-même et d’autres thérapeutes comportementalistes vont expérimenter l’EMDR.
Shapiro va continuer avec des vétérans de la guerre du Vietnam, souffrant d’état de stress post-traumatique, considérés comme résistants aux divers traitements.
Elle va publier un article dans le journal d’étude du stress post traumatique relatant ses expériences avec les mouvements oculaires auxquels elle va adjoindre un protocole pour dissiper durablement l’anxiété.
L’article est accueilli avec un mélange de curiosité et de septicisme. Celui-ci porte sur la rapidité avec laquelle les mémoires traumatiques sont désensibilisées ; quelques séances versus plusieurs mois avec la désensibilisation systématique.
En 1990, L’EMDR est officialisé. Le modèle sera prioritairement orienté vers le traitement du psychotraumatisme (en français : ESPT). Il devient par la suite une intervention complexe, à plusieurs facettes, décrite comme une véritable révolution dans le champ des psychothérapies.
A partir de cette époque, l’EMDR, dont elle déposera la marque, connaitra un développement important dans le monde. La stratégie de Francine Shapiro portera sur trois axes (Shapiro et Forrest, 1997) :

1er axe : l’affirmation.
D’une part, sur le plan théorique, d’un modèle de traitement adaptatif de l’information en référence aux concepts de traitement de l’information et des réseaux associatifs originellement présenté par Lang (1997) et Bower (1981). Ce modèle incorpore la notion d’activation d’un réseau et l’assimilation d’une information émotionnelle corrective qui s’infiltre ensuite dans l’ensemble des réseaux adaptatifs.
Et d’autre part, sur le plan de la pratique, d’un modèle syncrétique incluant les ingrédients venant d’autres thérapies comme :
- les thérapies cognitivo-comportementales dans l’utilisation d’échelles et la verbalisation des croyances négatives et positives sous-jacentes

- la gestalt dans l’insistance sur le ressenti émotionnel et corporel dans l’ici et maintenant de la séance
- l’hypnose éricksonienne dans l’utilisation de techniques d’imagerie guidée, l’utilisation des ressources, de la suggestion
- la psychanalyse dans l’association libre.
Un travail sur la « place sure » puis sur les ressources va être ajouté en amont afin d’aider le patient à faire face au vécu traumatique à traiter. Le but du traitement, qui se déroule en huit étapes, est d’aider le patient à se libérer du passé et à transformer celui-ci en un présent bienfaisant et productif au cours duquel la personne transmute une expérience négative en un apprentissage adapté.
Le patient retient ce qui est nécessaire de l’expérience passée perturbante et l’événement est restauré en mémoire sous une forme adaptée bénéfique et sans détresse.
Quand le résultat est atteint, l’ensemble des images, affects, croyances devient plus vif, plus intense, plus stable et apaisé.
La première indication de l’EMDR est le psychotraumatisme simple. Depuis, les protocoles se sont développés et l’EMDR est utilisé pour traiter les désordres dissociatifs de l’identité, les troubles de l’attachement, les phobies, les douleurs traumatiques et les troubles du comportement alimentaire d’origine traumatique.

2ème axe : le domaine du psychotraumatisme.
La recherche d’une justification scientifique à l’efficacité de sa méthode par la multiplication d’études et d’une caution par la recherche de soutien auprès de cliniciens réputés comme Arnold A. Lazarus, Bessel van der Kolk (spécialiste du PTSD), David Servan Shreiber et de sociétés savantes comme l’Américan Psychiatric Association, la Fédération française de Psychiatrie en 2004 et le National Institute For Clinical Excellence au Royaume Uni en 2005.

3ème axe : l’organisation et l’encadrement de la formation des thérapeutes.
Francine Shapiro établit un monopole arguant que seuls les thérapeutes formés par elle et son équipe peuvent pratiquer la méthode. De technique de désensibilisation à ses débuts, l’EMDR devient une technique de psychothérapie pour praticiens confirmés ayant suivis les deux niveaux de formation. A partir de 1990, Shapiro et l’EMDR font faire l’objet d’attaques dans les conférences et dans les journaux professionnels :
sur sa formation de psychologue : l’école où elle s’est formée aurait disparue,
sur sa découverte : les mouvements oculaires et corporels sont utilisés depuis très longtemps dans les pratiques shamaniques et comme inducteurs de transe en hypnose depuis Mesmer.
D’autres critiques viennent de Rosen qui estime que : « Pour sentir ses yeux bouger, cela nécessite un mouvement volontaire » .
L’efficacité de sa méthode est comparée soit à un placebo habilement emballé, soit à une variante de thérapie traditionnelle d'exposition ou les deux (Lilienfeld, 1996).
La promotion et la diffusion de sa méthode sont contestées (DeBell et Jones, 1997).
L’article de Richard McNally de 1999 montre bien ces aspects dans une comparaison sociologique avec Mesmer : « EMDR and Mesmerism ».

Cependant, Francine Shapiro obtient en 1994, le Distinguished Scientific Achievement in Psychology Award de l'Association Californienne de Psychologie et en juin 2002, le prix Sigmund Freud, décerné à la fois par l'Association Mondiale de Psychothérapie et par la ville de Vienne.
Francine Shapiro est la présidente de l’Association Internationale d’EMDR basée en Californie et crée également l’HAP : le programme d’assistance humanitaire EMDR qu’elle considère comme l’équivalent de « Médecins sans frontières » pour la santé mentale.

L’EMDR en France
Un psychiatre, François Bonnel, ayant rencontré l’EMDR lors d’un séjour en Californie, a été à l’origine de la première formation en France en 1994 et a créé la Société Française d’EMDR. En 2001, un autre psychiatre, professeur au département de recherche cognitive à l’université de Pittsburgh, David Servan-Schreiber, transforme la SFEMDR en EMDR France et fait reconnaître l’efficacité de l’EMDR dans le psychotraumatisme par la Fédération Française de Psychiatrie en 2004 et, dès lors, oriente le développement de l’EMDR dans une perspective neurointégrative.

Réflexions :
L’histoire de Francine Shapiro et de l’EMDR est à la fois fascinante et, en même temps, n’est pas sans poser de questions.
Son originalité est d’avoir réintroduit des techniques d’induction corporelle, les mouvements oculaires ou autres, à un protocole qui intègre à la fois les aspects comportementaux, sensoriels et cognitifs d’un vécu perturbant. Les mouvements oculaires favorisent la synchronisation patient-thérapeute. Par contre, on peut s’interroger si sa volonté de faire science, ne participe pas à la commercialisation de sa technique. Déposer une marque de thérapie est un procédé pour le moins étrange. D’ailleurs, s’agit-il d’un outil ou d’une technique (utilisable dans diverses approches thérapeutiques) ou d’une thérapie à part entière ? La question n’est pas simple quand la formation se fait en deux fois deux jours et est décrite comme simple à enseigner !
La relation de Francine Shapiro à l’hypnose, comme à son savoir-faire, issu de Palo Alto, questionne. Quelle est la place de la relation ? Quelle stratégie est mise en place dans la thérapie EMDR ?
La position du thérapeute n’est pas claire : accepte-t-il de s’inclure ou non dans le processus thérapeutique ?
Le système de traitement de l’information, théorie qui sous-tend la pratique questionne également. S’agit-il d’une métaphore comparable à l’inconscient comme réservoir de ressources de Milton Erickson ou d’une réalité ?
Ces questions m’ont amené à développer, avec mes collègues nantais, un modèle, l’HTSMA (Hypnose, Thérapie Stratégique et Mouvements Alternatifs) qui intègre le protocole de Francine Shapiro à l’apport de l’hypnose ericksonnienne et à la dimension stratégique des thérapies brèves systémiques (Palo Alto et De Shazer)


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Rédigé le 04/11/2008 modifié le 05/05/2020
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