Que ferait Freud sur un tapis volant? Revue Hypnose & Thérapies Brèves

La rencontre du pourquoi et du comment
Karine Robert. Psychologue



Lorsque je me suis installée en libéral, je me suis très vite aperçue que ma formation de psychologue clinicienne, avec une orientation analytique était, certes intéressante, mais qu’il me manquait « quelque chose ».
En effet, je pouvais accompagner les personnes que je recevais, jusqu’à « l’émergence de la question », mais une fois celle-ci posée, qu’en fait-on ?

Par ailleurs, travaillant notamment avec des victimes de violences sexuelles et/ou d’inceste, je me demandais s’il n’y avait pas un autre moyen de les aider, que d’aller «creuser systématiquement là où ça fait mal».

C’est avec ces deux questions que je suis arrivée par un bel après-midi d’été à Vaison-La-Romaine, pour commencer à me former à la pratique de l’hypnose éricksonienne.

Enfin, plutôt trois questions, car une autre, un peu plus « angoissante » professionnellement s’était dessinée : la psychanalyse et l’hypnose éricksonienne étaient-elles « compatibles » ?

Car, même si je sentais qu’il me manquait « quelque chose», la psychanalyse représentait une grille de lecture et un positionnement qui me convenaient bien : être à l’écoute du patient dans sa singularité.

Je voulais découvrir une autre façon de faire, du « en plus », tout en permettant le déploiement de la parole du sujet, ou, comme le dit si bien Serge Lesourd , « sans tuer la question par une réponse trop rapide ».

Aussi, (comment) la psychanalyse et l’hypnose peuvent-elles s’articuler ?

Situations et moments cliniques

Marco et le djin

Marco, qui a 8 ans, vient à l’initiative de son père, lequel trouve son fils triste depuis quelque temps. Les parents sont séparés depuis peu.

Marco adhère à l’initiative de son père, et dès la 1ère séance, il se sent prêt à être reçu seul. Dans ce que j’observe, Marco est effectivement un petit garçon triste, avec quelque chose de très particulier dans le regard : j’ai l’impression d’avoir devant moi un « grand petit garçon ».
A tel point, qu’au cours de la séance, je lui demande s’il se «sent» un enfant.
- « oui » me répond-il
- « et un enfant heureux ? »
- « non »

Il parle de la séparation de ses parents, de ses angoisses et questionnements, et précise que ce qu’il voudrait, lui, c’est que sa « maman soit moins triste ».

2ème rencontre

Marco dessine sa famille, mais de façon très sommaire en utilisant une seule couleur de crayon et représente des personnages assez « simplistes » (du type« bonhomme-patate » des enfants de 3 ans). Il évoque sa relation avec la nouvelle compagne de son père et utilise le mot «commère » pour parler d’elle.

Comme je répète ce mot « commère » de façon interrogative, il m’explique que celui-ci vient du vieux français et signifie « seconde mère ».

Par contre, il n’en connaît pas le sens actuel. Il semble tout petit, comme perdu physiquement, installé dans le grand fauteuil choisi pour cette séance. Et il parle « comme un adulte ».

Le décalage entre son apparence physique et son discours est très surprenant. Interpellant même ! Comment susciter un peu de fantaisie, de légèreté, de rêverie, chez ce petit garçon ?
Comment lui permettre de (l’aider à… l’autoriser à…) être un petit garçon, ne serait-ce que l’espace d’un instant ?

Alors, je lui demande : « Qu’est-ce que tu aimes, toi, dans la vie ? ».
Il me donne la « liste des 10 choses qu’il aime », parmi lesquelles la chirurgie, la mécanique, l’astronomie,… Rien que des choses très scientifiques et rationnelles !

Mon regard se porte alors sur la bibliothèque, juste à côté de moi, et sur laquelle j’ai déposé divers objets. Dont une (véritable !) lampe d’Aladin, rapportée d’un voyage en Orient...
Je la saisis et lui demande :
« Est-ce que tu sais ce que c’est ? »
« Une lampe à huile ? »
« Oui… Mais regarde la bien. Ne l’aurais-tu pas déjà vue quelque part ?»
« C’est comme la lampe d’Aladin »
«Et tu sais ce qui se passe quand on la frotte ? » (je commence à frotter)
« Il y a un génie qui sort… mais ça c’est pas vrai »
« Tu en es sûr ? Veux-tu essayer ? » (je la lui tends). Il répète que « ça ne marche pas » mais il la saisit quand même et il commence à frotter « Tu vois, il ne se passe rien »
« hum hum … »

Il me regarde alors avec un grand sourire et me dit : « tu sais ce que j’aime, moi ? La pêche aux canards à la foire, mais mon papa m’a dit que j’étais trop grand, maintenant ».

Pendant tout le reste de la séance, il a raconté des souvenirs de pêche aux canards. Les yeux brillants comme s’il pêchait encore.

Le génie de la lampe était bien sorti…

Monsieur B. Valse-hésitation.

Monsieur B. a une trentaine d’années et est papa d’une petite fille. Il a pris rendez-vous car « ça ne va plus avec sa compagne » qui lui reproche de ne pas « être suffisamment là ».
Il précise qu’il est venu, mais "qu’il n’est « vraiment pas sûr que [je vais] pouvoir l’aider.

D’autant plus qu [’il] ne voudrai[t] pas que ça dure trop longtemps. »
Mr B explique qu’il a repris des études depuis un an et demi, et trouvé un poste qui lui correspond mieux (poste à responsabilités), mais à près d’1 heure de train de son domicile.

Ce qui fait qu’il part à 7 h le matin et ne rentre pas avant 19h le soir. Ce poste est une « opportunité » à saisir parce qu’il ne « trouverait rien » dans la petite ville où il habite.
Sa question est : « comment sortir de ce dilemme sans en arriver à une rupture avec sa compagne ?».

Je lui propose un petit « exercice ».
Le dessin en 3 étapes.
1. dans la partie haute de la feuille (ce qui lui pose problème), il représente :
• sa femme et sa fille
• une pendule (le temps )
• une flèche avec une pointe à chaque bout (la distance)
• un éclair (les conflits)
2. dans la partie basse (comment il aimerait que ce soit) :
• sa femme, sa fille et lui
• dans une pendule
• un soleil

→ ce serait être en famille,
en ayant le temps
et sans la question de la distance

3.Comment passer de la partie haute à la partie basse ?

Il ne sait pas. Puis il propose : « déménager ? Ou alors que l’un des deux arrête de travailler ? »
Mais ça ne serait « que de fausses solutions » dit-il, alors il ne sait vraiment pas.

Monsieur B. semble assez angoissé par le fait de ne pas savoir ou pire s’il n’y avait pas de solution à son dilemme… Aussi, après quelques minutes, plutôt que de laisser cette angoisse s’insinuer, je lui demande si je peux, moi, dessiner quelque chose. Et je reprends, aussi fidèlement que possible, le personnage masculin qu’il avait représenté en bas de la feuille.

Dans un 1er temps, il ne voit pas de qui il s’agit : « C’est qui celui-là ? » demande t-il.
Puis quand il « se reconnaît », je lui demande s’il sait pourquoi je l’ai dessiné là :
« C’est moi qui viens, donc c’est moi le responsable ? »
« ou c’est moi qui doit trouver la solution ? »

Il n’est pas satisfait de ces hypothèses. Moi non plus. Je « sens » qu’il y a « autre chose » et lui demande alors :
« Où êtes-vous dans la partie haute du dessin ? »
« Moi aussi, je me suis posé la question … » répond-il « Est-ce que ça veut dire que je ne me sens pas concerné par le problème ? »

J’ajoute seulement (allez savoir pourquoi ?) que « la distance n’est pas seulement une question de kilomètres ».

Il fait alors un lien avec la question de sa place dans son couple à partir de laquelle il accepte les décisions que prend sa compagne, sans être d’accord, mais sans oser s’y opposer, car il n’a, dit-il, « pas d’arguments ». Et comme en plus, il n’est pas beaucoup là… Et il commence à parler de son histoire, de sa difficulté à s’affirmer et à dire « non ».

2ème rencontre
Ça va « beaucoup mieux » dit-il : il s’est autorisé à ne pas être d’accord avec sa compagne, à donner son avis, même si ça a entraîné des conflits et présente ceux-ci comme un indice de sa présence : « C’est bien parce que j’étais là, qu’il y a eu ces conflits ». Le fait d’assumer ceux-ci est quelque chose de nouveau et d’important pour lui.

3ème rencontre, très brève
Sa compagne ne lui reproche plus de ne pas être suffisamment là, même si elle ne voit pas en quoi il a changé ! Ils envisagent de faire un autre enfant.

D’un commun accord, nous convenons d’espacer la rencontre suivante qui sera par ailleurs la dernière. Il s’agit là d’une utilisation peu conventionnelle du « dessin en 3 étapes », mais l’angoisse que suscitait l’absence de réponse pour Monsieur B. ne me semblait pas constructive à ce moment-là. Bien au contraire, elle venait alimenter sa crainte qu’il n’y ait pas de solution à son dilemme et une représentation imagée lui a facilité la compréhension dynamique de sa situation.

Les outils que je découvre au fil des rencontres, lectures ou formations restent… des outils. Je les détourne assez régulièrement de leur application initiale (mea culpa !), afin d’en faire quelque chose qui me ressemble. Je ne peux travailler qu’avec ce que je me suis approprié.

Peut-être, là encore par peur de m’enfermer dans un carcan de technicité, au détriment de ma posture d’écoute. Il m’est ainsi possible de jouer avec, et en fonction de, ce qui se passe pendant la séance.


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Rédigé le 01/02/2011 modifié le 01/02/2011
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