Pour un changement de type 3. Revue Hypnose & Thérapies Brèves 29

Stéphanie GUILLOU et Dr Franck GARDEN-BRÈCHE
Rencontre de troisième type avec une infirmière en hématooncologie et un algologue urgentiste qui proposent, à partir d’une pratique laissant l’esprit rationnel de côté, une conception nouvelle du changement thérapeutique se situant dans la continuité des travaux de Gregory Bateson menés avec Paul Waztlawick, et basée sur un accueil total de l’émotion naissant de la rencontre.



L’ACCUEIL BRAS OUVERTS

La vie nous réserve une constellation de bonnes ou de mauvaises surprises, une succession d’événements, des plus déchirants aux plus exaltants. Toute la question est de savoir comment nous les interprétons et ce que nous choisirons d’en faire. Que nous soyons convaincus que la route de notre destin est déjà tracée ou que nous croyions au libre-arbitre, nos pensées, nos sensations, nos émotions et nos actes sont en perpétuelle interaction avec le monde extérieur.

Pourtant, si certains d’entre nous surfent facilement sur ces vagues temporelles, d’autres se noient à la première tempête, ou tentent de garder la tête hors de l’eau tout au long de leur existence.
Où se situe la différence ? Comment trouver le passage secret entre souffrance et bonheur ? Entre inertie et action ?
Paul Watzlawick a décrit les changements de type 1 et de type 2. Nos différents formateurs, dont Claude Virot, Ernest L. Rossi, et aussi Milton H. Erickson par ses écrits, nous ont transmis une nouvelle hypnose, une créativité, une vision souvent décalée qui leur permet de remettre en question les plus grands paradigmes pour, au moins, oser regarder de l’autre côté du miroir et faire évoluer les choses. Emportés par cet élan, aidés de nos personnalités curieuses de nouvelles expériences et parfois iconoclastes, nous avons voulu aller un peu plus loin encore avec le concept d’un changement de type 3.

Le fil rouge de cet article sera avant tout clinique et émotionnel. Il nous conduira, au travers d’exemples concrets, de la notion de vie ou de survie à celle d’alliance thérapeutique, puis du rappel des changements de type 1 et 2 vers l’ouverture au champ du type 3. Et ce, dans son concept comme dans son application thérapeutique au quotidien. La technique que nous vous proposerons ensuite est issue de nos apprentissages, de nos recherches et de nos intuitions. Nous vous invitons à laisser de côté votre esprit cartésien tout au long de ces pages et d’ouvrir votre imaginaire à de nouvelles possibilités, parfois surprenantes ou provocatrices, dont vous garderez l’indispensable pour votre activité.

VIVRE OU SURVIVRE ?

Notre pratique comme notre existence personnelle sont faites de rencontres. Certaines, synchronistiques2, transformeront radicalement ce que nous sommes au plus profond de notre conscience et de notre inconscient, si intenses qu’elles bouleverseront même le monde qui nous entoure. D’autres seront plus anonymes, pour ne pas dire transparentes, aussitôt oubliées. Ce sont aux premières que nous allons nous intéresser ici, car elles nous font grandir, progresser.

Que ce soit au sein du service d’Hémato-Oncologie, du Samu-Smur ou de l’Unité Douleurs du Centre Hospitalier de Saint-Brieuc, nos lieux d’exercices respectifs, les émotions des patients ou les nôtres affluent quotidiennement pour les raisons que vous imaginez parfaitement. Nous aurions pu choisir de les masquer, de les ignorer, de s’en protéger. Nous préférons en faire notre outil thérapeutique, à la fois initiatrices mais aussi constituant le catalyseur et le combustible des changements recherchés. Nous allons chercher le patient là où il se trouve, dans sa détresse physique ou psychique. Cet afflux intérieur, perçu et canalisé, sera une incroyable source d’énergie qui existe, qu’on le veuille ou non. Utilisée, elle permettra d’avancer. Ignorée, elle consumera et détruira de l’intérieur.



HISTOIRES DE VIES

Fabrice travaillait dans l’enseignement. Agressé, selon lui, par des élèves dans la cour du lycée, il s’est retrouvé seul lorsque d’autres collègues ont choisi de considérer l’événement comme un jeu. Lorsqu’il a voulu dénoncer cela auprès de son administration et de la justice, personne n’a voulu le croire et depuis, il est devenu le bouc-émissaire de tensions intérieures, de conflits. Rejeté par les enseignants contre qui il s’était plaint, il a dû être mis en arrêt de travail pour syndrome dépressif.

Il parle de harcèlement. Cela remonte à plusieurs années. Depuis : la mise en invalidité, le divorce, les antidépresseurs au long cours, l’apparition de l’alcool... Depuis, il a choisi de continuer à faire toujours un peu plus de la même chose. Aujourd’hui, lorsqu’on lui demande sa profession, il répond : « Victime ». Victime de ses élèves, de l’administration, du système, de sa femme, de l’univers. Il tente toujours, sans succès, de faire reconnaître les faits : l’agression, le harcèlement, l’injustice. D’avocats en association de victimes, il poursuit en vain sa quête. Nous l’avons croisé lors d’une intervention Smur... après une tentative de suicide. Fabrice survit. Seul avec son histoire, il se consume de l’intérieur.

Monsieur E. a une quarantaine d’années. Il est marié, père de deux enfants, et est atteint d’un myélome. Cet homme utilise sa maladie et sa souffrance comme une force. Cette force, cette envie ne le quittent pas, et s’accompagnent de pensées et d’émotions positives pour lui-même et pour sa famille. Il sait intégrer son myélome dans son quotidien, et ne s’épuise pas à lutter contre. Quand il vient en traitement dans le service, il nous fait part de ses week-ends avec ses deux garçons et sa femme. C’est souvent un programme chargé d’où ils ne reviennent que le dimanche soir. Dès qu’ils le peuvent, ils partent en vacances. De mémoire, il y a eu un séjour en Tunisie juste après une consolidation osseuse, avec une équipe médicale sur la réserve. Son discours, son attitude détonnent avec ce que l’on observe le plus souvent, où les patients vivent comme entre parenthèses, et pour qui les projets, même à court terme, sont difficiles.

Après un parcours thérapeutique long et pénible, le myélome de M. E. gagne du terrain. Il nous contacte pour que l’on organise une transfusion sanguine, quelques minutes seulement avant de partir pour ses dernières vacances, sur les pistes enneigées. Femme, enfants, bagages et skis l’attendent sur le parking de l’hôpital. Il décèdera quelques semaines après son retour. M. E. avait fait le choix de vivre avec sa maladie et pas seulement de n’être qu’une personne malade.

L’ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE

Tout comme l’utilisation de « tout ce qu’amène le patient », chère à Milton H. Erickson, les émotions de la personne aidée seront notre première source d’inspiration. L’alliance thérapeutique sera la seconde pierre angulaire de notre pratique. Cela signifie accepter, pour le soignant que nous sommes, de créer un lien éphémère avec ce patient qui souffre, et ce, en s’ouvrant soi-même. Il ne nous semble pas concevable de vouloir secourir quelqu’un qui se noie sans se mouiller. Le tout est de savoir nager. Le schéma suivant vous livre notre conception de la transe hypnotique ericksonienne, telle que nous la pratiquons aujourd’hui.

En début de séance (1), le soignant rencontre un patient en conscience critique ou en transe spontanée négative.3 - Lors de la première phase de l’entretien (2) a lieu le recueil, pour ne pas dire l’accueil de ce qu’est ce patient, ici et maintenant, dans toutes ses facettes. Chacun arrive avec sa propre vie, ses expériences, ses valeurs et ses croyances.

- La phase d’induction conversationnelle ou formelle (3) rapproche les inconscients respectifs, met en phase patient et thérapeute, ce dernier se calant sur les apports du premier.

- Lors de la phase centrale (4), les deux naviguent dans la transe, chacun dans la sienne mais à un même niveau émotionnel et chacun accompagné de son propre observateur extérieur (5). Il n’y a pas de chevauchement des transes, chacun la vivant en parallèle sans interférence directe. Cette dissociation protège patient et thérapeute de toute intrusion iatrogène.

C’est dans la nébuleuse colorée qui constitue ce processus de conscience modifiée, l’accès à l’inconscient, aux ressources personnelles et collectives, que tout devient possible comme nous le verrons dans la technique que nous vous proposerons : la maison intérieure aux multiples pièces et son jardin.
En toutes circonstances l’induction, l’accompagnement et la ré-association doivent rester pour le thérapeute un moment créatif, intuitif, un réel plaisir émotionnel d’échanger porté par cette relation thérapeutique spécifique. En d’autres termes, le soignant visera à plus ressentir encore, utilisant chacun de ses cinq sens, laissant à distance son formatage cartésien issu de ses apprentissages scientifiques.

Bien entendu l’observateur extérieur du thérapeute sera, lui, le garant de la poursuite de la stratégie et des objectifs fixés au départ. Selon notre point de vue, à l’intérieur de la transe, le thérapeute doit se fier à son expérience émotionnelle et fonctionner le plus intuitivement possible afin de réagir presque par anticipation aux changements de son patient, en temps réel. La communication d’inconscient à inconscient, une méta-communication selon Erickson, est en effet beaucoup plus rapide et fonctionnelle.

À ce stade précisons que, concernant la transe hypnotique, nous préférons utiliser le terme de processus de conscience modifié à celui d’état, car ce dernier renvoie à quelque chose de plus figé et de plus stable. Un processus est, par définition, en mouvement perpétuel. Cette précision est donnée au patient pour lui faire comprendre l’importance de son implication dans la recherche du changement. Il s’agit d’un même niveau de différence qu’entre être malade et avoir une maladie.


CHANGEMENT DE TYPE 1 ET 2 DE WATZLAWICK


STÉPHANIE GUILLOU
Infirmière en Hémato-Oncologie au CHG de Saint-Brieuc. Actuellement en fin de formation à Emergences-Rennes.

Dr FRANCK GARDEN-BRÈCHE
Médecin Urgentiste Samu 22. Praticien en hypnose éricksonienne au sein de l’Unité Douleur du CHG de Saint-Brieuc. Formateur en Hypnose Médicale. Président de l’IMHERB, membre du bureau de l’ISH.
http://www.hypnose-ericksonienne.org/garden-breche/

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AMUSANT N'EST-CE PAS ? Dr Thierry SERVILLAT

Une des attitudes fondamentales –peut-être la principale- qu’avait Milton Erickson envers la vie était d’essayer de s’amuser (to have some fun) 1. Y compris dans son travail.

Un thérapeute qui veut s’amuser ? Paradoxe, dirons-nous très vite ! Aider, soigner l’autre est théoriquement un métier… sérieux, ne pensez-vous pas 2 ?

Comment concevoir cela ? La thérapie aurait-elle à voir avec les Muses et la musique ? Oui sûrement, mais le mot « amuser » ne semble, contrairement aux apparences, avoir aucun rapport avec celles-ci.

QUITTER LA CONTRAINTE POUR RETROUVER SES OBLIGATIONS ! Cynthia DRICI

Certaines demandes de thérapies résultent assez fréquemment d’un sentiment de contrainte qui empêche de vivre. Dans une perspective phénoménologique, l’hypnose est là, disponible, pour aider au dégagement qui permettra au patient de pouvoir de nouveau accéder à ses valeurs. Exploration d’un paradoxe qui n’est qu’apparent. Lorsqu’un individu décide de consulter un spécialiste de l’accompagnement thérapeutique, il décrit bien souvent, lors la première rencontre, une situation dans laquelle il se sent bloqué, figé.

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POUR JOUER AVEC LES LIMITES INVERSER LE SENS.J. de MARTINO

Variation sur le « Non !... J’déconne… » utilisé par de nombreux adolescents, le texte de l’intervention de Joël de Martino très remarquée lors des Transversales de Vaison la Romaine en 2008 est publiée en hommage à Franck Farrelly. DÉFINITIONS Déconner (v. intr.) : dire des bêtises, des inepties, ne pas être sérieux (argot) ; exagérer, divaguer, déraisonner ; plaisanter, s’amuser, faire des bêtises, se laisser aller.

EN VIE JUSQU’À LA FIN, ACCOMPAGNER L’HUMAIN
Véronique LESAGE, psychologue, pratique une hypnose issue des thérapies humanistes.


Elle nous raconte le chemin fait avec Catherine, malade d’un cancer colique. Un accompagnement utilisant l’hypnose afin de répondre au mieux à l’objectif demandé par la patiente : préserver son humanité. La pratique de l’hypnothérapie s’inscrit dans un relationnel, un accompagnement singulier entre un professionnel et son patient.

INTERACTIONS THÉRAPEUTIQUES ÉCLAIRAGES DÉVELOPPEMENTAUX
I. CAPPONI ; A. RAMBAUD ; J.P. COURTIAL


Dans la continuité de la réflexion systémique, la compréhension de ce qui se passe en hypnose et lors de certaines approches psychothérapiques peut s’enrichir de nombreux travaux en psychologie de l’enfant. Des recherches qui le plus souvent préexistaient à celles du groupe de Palo Alto.

Robert Montaudouin par Bernadette Audrain-Servillat

Originaire de Chartres, Robert Montaudouin a dessiné très tôt. Dans les années 70, poussé par un prof d’anglais il a durant quatre années étudié à l’Ecole des Arts Appliqués et des Métiers d’Art de Paris où il obtient un diplôme en art mural. Il continue son cursus à l’Ecole des Beaux Arts de Paris (atelier de peinture de Gustave Singier)

Procrastination(s). Dr Thierry SERVILLAT

Professeur de philosophie à Stanford, John Perry, procrastinateur lui-même (si nous le croyons) a écrit, sur un mode humoristique, un manuel qui pourra aider bon nombre de nos patients, et aussi pas mal de thérapeutes. Sur un problème souvent qualifié de « stupide », car semblant tout à fait irrationnel (nous dirons acrasique1 pour faire « branché philo grecque »), l’auteur va écrire un livre brillant, grand succès de librairie témoignant, si besoin était, de la difficulté de nos contemporains à gérer leur temps.

QUIPROQUO, MALENTENDU ET INCOMMUNICABILITÉ
« Trop bien ! » Dr Stefano COLOMBO


Deux mots qui sont déjà trop pour moi. J’avais déjà de la peine avec le bien et le mal, mais là ç’en est trop. Regardons de plus près et commençons par la deuxième partie, le bien. Je peux dire que j’ai du mal avec le bien alors que la langue française a du mal à me laisser dire que j’ai du bien avec le mal.

CONGRÈS ET CONFÉRENCES. Tentatives, solutions, logiques. Christine GUILLOUX

Compte rendu de Christine GUILLOUX Hors contexte, les mots et les gestes n’ont pas de signification. Gregory BATESON Ordonner le monde ou le désordonner ? Décrire les parties jusqu’à l’infiniment petit ou comprendre les relations, les interactions des parties entre elles, avec les autres, le monde, l’univers ?

Pour une psycho-allergologie. Dr Christian MARTENS

Les médecins s’appuient sur les sciences physiques et biologiques pour expliquer les symptômes. Elles nous permettent d’en déterminer les causes et les conséquences, d’ex-pliquer, c’est-à-dire littéralement de dé-plier les signes dans une série de cause à effet. Mais par souci d’objectivité, celles-ci se refusent à s’interroger sur leur sens, sur les questions relatives au sens de ces signes, à les comprendre. Car comprendre, c’est de l’intérieur, découvrir le sens.

Rédigé le 08/06/2013 modifié le 23/12/2014
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