Le Temps Hypnotique. Revue Hypnose & Thérapies Brèves

Par Marie-Pierre Sicard Devillard
Psychologue clinicienne - psychanalyste



Il est parfois utile de penser l’hypnose avec l’éclairage de la psychanalyse. Surtout quand c’est celui du grand psychanalyste anglais Winnicott !
Lorsqu’un thérapeute a recours à l’hypnose dans sa pratique et dans la conduite d’une psychothérapie, l’état hypnotique n’occupe pas la totalité de l’espace thérapeutique, que ce soit dans le temps d’une séance, ou bien même sur l’ensemble de la période pendant laquelle il reçoit son patient.
Poser la question du recours à l’hypnose en terme de moment spécifie au mieux ce que fait le thérapeute : comme quelque chose qui vient dans un tout, qui ne le limite pas, qui suppose dans son entour un environnement à prendre en compte.

Ainsi, je ne saurai, pour ma part, manier l’hypnose dans le cadre d’un protocole particulier en fonction d’un symptôme particulier, comme par exemple guérir une phobie en X séances. Lorsque que quelqu’un vient me voir pour arrêter de fumer, je ne sais pas à l’avance s’il faudra une ou plusieurs séances, et si, derrière cette demande, n’émergera pas autre chose…
Ce serait, à mon sens une forme trop réductrice en regard des potentialités que nous offre l’hypnose.
Car elle a ceci de particulier qu’il ne s’agit ni d’une méthode, au sens de technique que l’on peut apprendre et utiliser ensuite, ni d’un corpus théorique, qui serait enseigné, duquel on pourrait se référer, se donner des repères épistémologiques.
L’hypnose est une capacité humaine, un état du vivant.
Une disposition humaine.

Avant de prendre le nom d’hypnose, cette manière d’être et de faire était nommée « magnétisme animal ».
La nomination première de cette disposition lui confère son caractère universel et transversal. De fait, elle est accessible à différentes professions thérapeutiques : médecins, dentistes, anesthésistes, sages-femmes, psy... Et chacun à sa manière, avec sa singularité, aura recours à l’hypnose au service de sa pratique.
Pour ma part, c’est en tant que psychanalyste, et dans la conduite de psychothérapies, que je réfléchis à la pratique de l’hypnose.

Pour que le processus thérapeutique soit efficient il me semble nécessaire de construire un contenant à l’acte hypnotique, ce contenant étant la relation thérapeutique.
L’histoire clinique de Sara est un exemple de relation thérapeutique contenante. Cette jeune femme d’une trentaine d’année vient pour la première fois en octobre 2003 pour une psychothérapie, sur les conseils d’une amie. Elle a des accès de violence, d’énormes colères qui ont pour cible sa mère et ses sœurs mais aussi ses employeurs et ses collègues de travail. Après une adolescence jalonnée de divers placements, elle est, à l’époque où je la rencontre, toujours prise en charge par les services sociaux (logement, suivi économique et psychiatrique), et fait de petits boulots dans la restauration, ou le ménage.
Elle paraît vivre à la marge, sans vie sociale, ni amicale ou affective.
Faire la démarche de venir consulter un psy en libéral dans le centre de Paris est une initiative courageuse, qui se démarque de son vécu habituel, et soutenue chez elle par une forte volonté de « s’en sortir ».


Je vais la suivre régulièrement pendant à peu près un an.
Cette régularité (une séance hebdomadaire) semble être un des rares points de stabilité de sa vie, avec ses visites à l’assistante sociale. Très vite je sens que Sara me fait confiance, qu’il lui importe de venir et de s’engager dans sa thérapie.
Chaque séance se déroule un peu de la même façon : elle parle de ses relations aux autres (sa mère, ses sœurs, un homme qu’elle côtoie, les gens avec qui elle travaille), j’oriente sur des prises de conscience : sa position vis à vis des autres, les positions des autres vis à vis d’elle.
Puis nous faisons un travail en hypnose. La métaphore que j’utiliserai tout au long du travail avec elle est celle d’un voile, comme une immense cape légère, transparente et solide dont elle s’envelopperait pour se protéger, construire une espace d’intimité, ne pas être trop proche.
L’appui de l’hypnose lui permet d’apprendre à mettre de la distance vis-à-vis des autres, se protéger de l’agressivité. Ainsi elle peut s’inventer un refuge imaginaire auquel elle apprend peu à peu à avoir recours dans les situations de sa vie quotidienne.

Durant toute cette première année elle est assidue. Elle trouve un contrat, un travail régulier, salarié, comme caissière dans un supermarché. Je pense que la thérapie est « efficace », qu’elle va lui permettre de tenir une vie sociale et relationnelle, et sortir de la marginalité. Du coup, forte de cet acquis, je me laisse un peu dériver, je perds de vue la régularité du recours à l’hypnose pour revenir à un travail très axé sur la parole, l’explicatif…

Viennent les grandes vacances. A la rentrée, au bout de trois séances, elle abandonne, sans prévenir et sans pouvoir payer sa dernière consultation.

Elle me rappelle fin juin de l’année suivante en annonçant d’abord qu’elle me doit une séance : nous prenons rendez-vous, elle paye sa dette et déballe toute sa colère et ses ressentiments envers sa famille et son patron. A la suite d’une très forte dispute avec ce dernier, elle est sous la menace d’un licenciement.
Je suis moi-même un peu désemparée en prenant acte de ce que j’entends comme une régression dans sa vie. Entre ce mois de juillet et celui de septembre, la thérapie est de nouveau interrompue par les vacances d’été. A la rentrée, elle disparaît encore sans prévenir, disparition que je perçois – à tort - comme une manifestation d’agression et de colère à mon égard.

Cependant deux ans plus tard, en juin également, Sara revient, paye la dernière séance, et souhaite reprendre un travail thérapeutique. Durant toute l’année scolaire, je fais la tentative de lui proposer un rythme régulier d’une séance tous les 15 jours.
L’espace de la thérapie lui permet de parler de ce qu’elle vit, ce qui est nécessaire pour se délivrer de certaines émotions envahissantes et comprendre de son environnement. Les temps d’hypnose dont sont ponctuées les séances lui permettent de se recentrer sur ses sensations propres et de construire une forme de protection imaginaire contre un environnement qu’elle ressent comme hostile.
Cependant, l’assiduité est difficile, de même que l’engagement dans une démarche suivie, quelle qu’elle soit. A plusieurs reprises, Sara s’éloigne, annule des rendez-vous, revient…
En parallèle, durant cette période, elle a un travail régulier mais précaire, dans l’hôtellerie, jusqu’à ce que l’établissement qui l’emploie lui propose un contrat à durée indéterminée. En outre, l’assistante sociale qui s’occupe d’elle doit être mutée.
L’engagement dans un travail salarié et le départ de l’assistante sociale provoquent une forte inquiétude, voire des sentiments de panique… Avec les grandes vacances, se reproduit le même scénario : elle-même devance mon départ et interrompt sans prévenir avant la dernière séance. Comme si elle « choisissait » elle-même de quitter pour ne pas se retrouver face à la réalité de l’absence.

Cette séparation de l’été, si elle est une fois de plus fatale au processus thérapeutique, l’est-elle pour la relation thérapeutique ? Je reste convaincue qu’il n’en est rien et que j’occupe une place dans la mémoire de Sara, faisant fonction de repère stable.
Effectivement, deux ans plus tard, en juin, Sara demande à nouveau à me rencontrer, à reprendre un travail. Il sera très bref, quelques séances avant les vacances d’été. Incapable de s’engager dans la durée, elle est cependant assurée de me trouver à la même place et de retrouver, dans l’état hypnotique, un certain apaisement. Pour lâcher encore, puis revenir…


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Rédigé le 01/02/2011 modifié le 01/02/2011
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