La jeune fille anorexique: de la chrysalide au papillon. Anorexie. Formation Hypnose et Congrès 2007. Hypnose et Anorexie, hypnose ericksonienne et anorexie

Dr BRUNO DUBOS - Psychiatre RENNES
Formation Hypnose
Formation Hypnose Ericksonienne
Anorexie et Hypnose , troubles alimentaires et hypnose



Le travail avec les patientes anorexique reste pour les thérapeutes difficile et souvent décourageant devant les résistances des patientes, les rechutes nombreuses, voir les échecs.
Les réflexions qui vont suivre sont les fruits d’une dizaine d’années de recherche en prenant en compte les réussites et les échecs lors du travail avec l’hypnose.
Si très vite nous avons pressenti la grande utilité de l’hypnose au coté des autres formes de thérapies proposées pour ces patientes, la place de la vidéo dans notre pratique quotidienne nous fut d’une grande aide.

OBSERVER LA JEUNE ANOREXIQUE

Le thérapeute est confronté dans la relation avec ces jeunes filles et leurs familles à des processus que nous connaissons bien lorsque nous travaillons avec l’hypnose :

La focalisation de l’attention.
La confusion.

La gravité de la situation, le caractère d’urgence, la pression familiale ou médicale, l’aspect parfois inquiétant ou très déstabilisant de ces patientes focalise notre attention, réduisant notre capacité à prendre en compte le problème de façon globale et simple, la ou peut se développer notre créativité thérapeutique.

Nous avons appris à écouter.
Nous avons été, dans notre formation à la psychologie, entraînés à cela.
Nous avons appris pendant toutes ces années de travail avec nos patientes, que l’écoute attentive des jeunes filles anorexiques et de leurs familles nous entraîne inexorablement dans leur complexité et dans leur propre confusion.
Elles construisent, à travers leur « orientation à la réalité », une définition de leur histoire, les causes de leur problème, font beaucoup cas de leurs « états d’âmes », de leurs idées noires ou suicidaires parfois, des conflits avec leurs parents, de leur obsession de la maigreur etc.

Cela, repris par les médias et la littérature, semble avoir permis la suggestion pour nous, thérapeutes, que l’anorexie est un problème complexe, chronique, et selon un principe fondamental en psychologie, que chaque cas est particulier et unique.
« Cette thérapie va être difficile et ardus, elle va durer longtemps, nous ne sommes pas au bout de nos peines etc. ».


L’étude des bandes vidéo a mis en évidence que nous perdons trop souvent de vue un des fondamentaux du travail avec l’hypnose :

L’OBSERVATION.
Avant même d’écouter la patiente et sa famille, il convient avant tout d’observer en devenant momentanément « sourd »….. Et ce, dés la prise de contact dans la salle d’attente.

L’aspect général de la jeune anorexique.

Toutes ces patientes ne nous donnent pas la même impression au moment du premier contact visuel.
D’une façon schématique, certaines d’entre elles sont très en retrait, fermées au contact, d’autres au contraire sont souriantes et plutôt avenantes.

Elles peuvent être habillées avec des vêtements simples très près du corps, sans recherche vestimentaire, sans maquillage. D’autres ont déjà tous les attributs de la féminité ou sont habillées avec des vêtements larges qui cachent leurs formes, ce que nous appelons : « Les tenues de camouflage ».

Il convient d’être attentif à leur physionomie :
Certaines jeunes filles n’ont aucunes formes, pas de hanches, pas de poitrine, pas de fesses.
D’autres, au contraire, même si elles sont trop maigres, gardent d’une façon étonnante et presque sélective, des formes très féminines, la silhouette est bien marquée, les seins sont bien présents et le visage semble épargné par l’amaigrissement.
Ces attributs féminins se retrouvent dans leur démarche.

Certaines anorexiques en revanche sont « raides » avec le bassin bloqué leur donnant une démarche très particulière « à petit pas », alors que d’autres à l’inverse, ont gardé une très bonne mobilité des hanches leur donnant une démarche féminine.

Le contact avec le thérapeute.

Nous attachons beaucoup d’importance à cette notion car elle détermine en partie l’approche relationnelle pour le travail avec l’hypnose.

Certaines anorexiques restent très à distance. Le contact physique (tendre la main pour dire bonjour par exemple) est très difficile voir impossible. Leur distance relationnelle est très grande.

D’autres, à l’inverse, sont en grande proximité, elles se laissent facilement approcher et peuvent même parfois être d’emblée dans une relation de séduction.

Observer les dissociations

Toutes ces jeunes filles, quelque soit l’étape du processus anorexique, sont dans un état de dissociation qui s’inscrit à plusieurs niveaux :

_ Le plus évident est la dissociation entre l’esprit d’un coté qui reste vif et le corps qui reste absent des préoccupations ou qui est au contraire rejeté car trop gros.
Il existe classiquement un surinvestissement des fonctions intellectuelles sauf dans les cas de dénutrition majeure.
Nous avons déjà signalé combien ces jeunes filles, dans la relation thérapeutique, insistent sur leurs « états d’âme », sur leurs préoccupations « intellectualisées » autour de leur poids, de la relation aux parents etc.

_ Il existe d’autres niveaux de dissociation qu’il convient d’observer attentivement car ils pèsent sur les stratégies thérapeutiques.
D’une façon ordinaire, nous pouvons considérer que les sensations corporelles (surface de la peau, sensation interne de chaleur ou de froid) sont comme « accrochées » à des réponses émotionnelles accompagnées d’un vécu agréable ou désagréable.

Chez ces jeunes filles, il est remarquable de constater, pour peu que nous prenions le temps de l’explorer, qu’il existe des zones de la surface du corps qui, soit ne déclenchent aucun ressenti, comme si ces endroits étaient « anesthésiés », soit provoque un ressenti très nettement agréable ou franchement désagréable.

Il est fréquent, dés que le lien thérapeutique est installé, de demander à ces jeunes filles de « tester » leurs sensations avec de l’eau chaude lors de la douche et d’établir une carte détaillée de la surface de leur corps en relevant les zones neutres, agréables ou désagréables.
Au delà de l’intérêt immédiatement thérapeutique d’aider ces patientes à ce recentrer sur leur corps, ces cartographies se sont avérée être toutes semblables qui correspond à la physionomie de ces jeunes filles :
Les anorexiques sans aucune féminité sont le plus souvent anesthésiées sur une grande partie de leur corps avec parfois quelques sensations désagréables sur les zones sexuelles (seins, hanches, pubis, intérieurs des cuisses).
Les jeunes filles anorexiques à la féminité plus affirmée sont beaucoup plus rarement anesthésiées. Il existe des sensations très agréables sur toutes les zones non connotées sexuellement, ces dernières donnant des sensations franchement désagréables.


_ Dissociation et age clandestin.

Avant même d’écouter parler nos patientes, l’observation lors du premier contact met en évidence un autre niveau de dissociation :
Si dans leur vie quotidienne, toutes ces jeunes filles revendiquent leur statut d’adulte, nous observons bien autre chose : Des adolescentes voir des toutes petites filles, dans leur gestuelle, leurs attitudes, ou bien nous pouvons avoir l’impression d’être en relation avec des femmes très âgées.

La prise en compte d’un age émotionnel différent de l’age officiel est fondamental pour le travail avec l’hypnose, et donne un éclairage sur le processus dans lequel ces jeunes filles sont installées.


Observer la jeune fille anorexique dans les interactions familiales

Nous ne pouvons ici détailler l’ensemble des interactions que nous avons pu observer par l’étude des bandes vidéo. Elles sont développées dans l’ouvrage « GUERIR DES TROUBLES DES CONDUITES ALIMENTAIRES ».
D’une façon schématique, il ressort une relative stéréotypie des interrelations, bien au delà des particularités propres à chaque famille et à chaque histoire et les jeunes anorexiques sans féminité sont dans des enjeux très différents des jeunes filles à la féminité affirmée.

LES PETITS ANGES ET LES SAINTES

Lorsque nous travaillons avec l’hypnose, nous apprenons à écouter nos sensations, nos impressions, nous utilisons nos propres métaphores des problèmes de nos patients, nous posons des hypothèses sur les processus en jeu afin d’élaborer une stratégie thérapeutique.

Au delà de tout ce que les jeunes filles peuvent nous dire sur les « cause » de leur état, au delà de ce qui peut être relayer par les médias, l’anorexie semble pouvoir être définie comme une impossibilité pour ces jeunes filles d’accéder à un statut de jeune femme :
Etre autonome des parents, être dans la possibilité de faire des rencontres amicales et amoureuses, d’avoir une sexualité épanouie (et non purement « instrumentale », sans aucun ressenti agréable) etc.…

Nous considérons que cela est le seul critère de succès de la thérapie avec ces jeunes filles.
Cependant, l’accession à ce statut de jeune femme ne peut se faire que par plusieurs étapes qu’il convient de respecter, car cela nécessite l’acquisition d’un certains nombres de compétences que ces jeunes filles n’ont pas forcément au début de la thérapie.
Le non respect de ces étapes risque de réduire à néant tout progrès.
Il ne suffit pas de prendre un appartement pour être autonome (certaines jeunes anorexiques habitent hors du domicile parental mes viennent tout le temps chez les parents).
Il ne suffit pas d’avoir un ami, voir de coucher avec lui pour être une femme. Certaines anorexiques ont officiellement une vie sexuelle, mais elle peut être vécue de façon très négative.

Si toutes nos jeunes patientes anorexiques sont dans l’impossibilité d’accéder de façon satisfaisante à leur statut de femme, les deux profils que nous avions déjà vu émerger prennent ici toute leur importance.
La relative stéréotypie des situations auxquelles nous avons été confrontés nous ont inspirés deux définitions métaphoriques de l’anorexie chez les jeunes filles : LES PETITS ANGES ET LES SAINTES.

Toutes les deux sont de façon systématique « impliquées » dans des enjeux relationnels du couple parental. Nous faisons l’hypothèse que l’une et l’autre et ce, dés leur enfance viennent « stabiliser » (homéostasie) un désaccord parental. Le maintient de cette de cette homéostasie est presque parfait jusqu'à l’adolescence ou de fait, avec les revendication d’autonomie, prémices au départ futur de la jeune fille, apparaît un déséquilibre relationnel avec un risque pour le couple parental de se retrouver à devoir gérer par lui-même ses conflits. Les « petits anges » et « les saintes se retrouvent dans une situation de double lien très puissant qui pourrait se résumer de la façon suivante : « Je grandit et j’abandonne mes parents à leur sort (trahison) ou je reste dans mon rôle auprès d’eux au prix d’un arrêt du processus de l’adolescence (loyauté).

Bien évidemment, cette hypothèse ne représente qu’un aspect du problème mais elle semble avec le recul trouver une certaine pertinence au vu de l’issue des stratégies que nous avons pu mettre en place avec ces jeunes filles.

Les petits anges

Ces jeunes filles donnent à voir une maigreur souvent affichée sans aucune féminité, leur donnant un aspect « pré pubère ».
Leur démarche est caractéristique, à petits pas, le bassin est figé, rigide et la gestuelle est pauvre.
Elles sont en retrait dans la relation au thérapeute voir parfois mutiques.
Elles sont quasiment anesthésiées, elles ont peu de ressentis physiques.

Si dans le détail, leurs histoires sont apparemment différentes, toutes sans exception ont très tôt étés « le petit rayon de soleil de la maison » ; petites filles sages, bonnes élèves (ce qu’elles sont souvent au moment de la première consultation). Elles sont très impliquées dans la mésentente du couple parental (qui est systématiquement présente à l’observation du couple parental même si leur discourt peut être tout autre). En alliance très forte avec leur mère, le père est présenté soit comme quelqu’un de très passif, sans personnalité, ou au contraire très autoritaire voir décrit comme un tyran domestique. (Si le petit ange peut donner à voir un conflit fort avec sa mère, pour peu que l’on s’autorise à se détacher du discours officiel, l’alliance mère/fille reste très forte.


Les saintes

Les jeunes filles présentent un amaigrissement qui peut être important mais « sélectif ». La silhouette reste résolument féminine ainsi que la gestuelle.
Elles sont plutôt confortables dans la relation au thérapeute, la proximité est possible sans retrait ni crainte.
Elles sont vêtues avec une recherche esthétique évidente, (contrairement aux « petits anges »), mais il est aussi courant de les voir porter des tenues de camouflages que nous avons déjà évoquées.
Elles ne sont pas anesthésiées, l’essentiel des ressentis désagréables se concentre sur les attributs de la sexualité avec un vécu de « saleté à l’intérieur ».

Il est frappant de constater à quel point, la encore, les processus à l’œuvre sont stéréotypés :
Les jeunes saintes sont officiellement parfaites en tout, sages et bonnes élèves du moins jusqu’à l’adolescence.
Le couple parental et la famille donnent à voir le même souci de la perfection. Il existe une mésentente dans le couple parental mais elle est activement dissimulée aux regards extérieurs, et si elle est visible, elle est systématiquement attribuée aux difficultés de la jeune « sainte ».
Celle-ci est toujours impliquée dans le conflit parental mais d’une façon très différente des « petits anges » : Il existe une alliance très forte, une connivence qui ne nous échappe pas à l’observation de la jeune fille et de ses parents, avec le père, alliance dont la mère est totalement exclue.

Les « saintes » rentrent dans le processus de l’anorexie après l’émergence de la puberté et elles sembles bloquer cette évolution naturelle après en avoir expérimenté certains aspects ( sortie avec des amies, flirts,sexualité) nous retrouvons alors des signes de menace sur l’homéostasie du couple parental.


LES STRATEGIES THERAPEUTIQUES : DE LA CHRYSALIDE AU PAPILLON


Il est impossible de décrire en détail toutes les stratégies thérapeutiques qui peuvent être mises en œuvre. Elles sont développées dans le livre « GUERIR DES TROUBLES DES CONDUITES ALIMENTAIRES ». Nous nous contenterons d’en décrire les grands principes.

Notre expérience des processus de l’anorexie nous a appris qu’il convient de regarder les objectifs de thérapie de façon globale en se « décentrant » du symptôme ; hormis dans les cas de dénutrition grave ou le pronostic vital peut être en jeu.
La reprise de poids, même si elle est pointée comme le premier objectif pour les parents plus que par les jeunes filles, ne peut être considéré comme une finalité de thérapie.
Nous considérons que le succès thérapeutique consiste à aider ces jeunes filles à sortir de leur statut de « petit ange » ou de « sainte » pour accéder à un vécu de jeune femme, et ce, de façon durable.
La stabilisation de l’amaigrissement, la reprise de poids, le départ (plus ou moins réussi) de chez les parents sans réelle autonomisation ne sont que des changements de type I.
L’accession au statut de jeune femme autonome s’accompagne toujours de profonds remaniements pour la jeune fille, pour le couple parental et la fratrie si elle existe. A ce titre la prise en compte de la dimention familiale dans la thérapie est utile.

Cependant, si nous nous concentrons dans un premier temps sur la thérapie individuelle avec ces jeunes filles, notre compétence à observer nous permet de nous fixer des objectifs simples pour éviter de rentrer dans la confusion :
Accéder à la maturité sexuelle et relationnelle nécessite l’acquisition de compétences psychologiques et physiologiques. L’hypnose se révèle être à ce titre, un outil remarquablement pertinent, pour peu que le thérapeute respecte un certain nombre d’étapes fondamentales qui permettent à une petite fille ou à une adolescente de devenir une femme. Les « petits anges » sont moins compétentes que les « saintes » en matière de féminité ; se désengager des enjeux du couple parental ne peut être travaillé d’emblée sous peine d’échec : combien de fois des thérapeutes ont d’emblée et de façon directe proposé à leur patiente de « couper le cordon avec une mère trop envahissante pour que les choses aillent mieux ?


La première étape du travail semble se situer au niveau du corps, dans une stratégie de réassociation. Il faut être persévérant et ne pas hésiter à proposer les mêmes interventions d’une séance à l’autre (le vécu y est de toute façon toujours différent pour la patiente).
La réassociation entraîne toujours une levée progressive des anesthésies, il n’est pas rare d’observer un retour des règles sans que le problème de l’aménorrhée n’ait jamais été abordé !
Ce travail de réassociation doit nécessairement s’accompagner, pour les saintes d’un apprentissage du « nettoyage de sont intérieur » (vécu de saleté).

Ce n’est que dans un deuxième temps que sera abordé, souvent de façon indirecte, le renouveau hormonal avec les modifications physiques et psychiques qu’il induit. Ce travail est bien évidement plus ardu pour les « petits anges » qui entrent dans la nouveauté que pour les « saintes » qui ont déjà partiellement expérimenter cet état. A ce stade, l’homéostasie du couple parental est mise à mal de façon inéluctable.


Rédigé le 20/12/2008 modifié le 12/05/2012
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