Janet revisité. Le corps psychothérapeute



Les patients traumatisés se plaignent souvent de symptômes physiques qui les laissent dans le sentiment d’impuissance et de perte de contrôle. Déclenchées par des réminiscences du trauma passé, une insoutenable cascade d’émotions dysrégulées, de sensations physiques, de croyances négatives et d’images intrusives se répètent sans cesse sur le théâtre du corps. Pierre Janet (1919 et 1925) proposait il y a bien longtemps que les souvenirs traumatiques sont séparés de la conscience et stockés en tant que perceptions sensorielles et répétitions comportementales. Le sujet « se souvient » de ce qu’il s’est passé en revivant ces itérations non verbales de l’événement traumatique d’origine, ou à travers des symptômes physiques mystérieux qui semblent n’avoir pas de base organique.

Quand les souvenirs traumatiques s’expriment dans ces symptômes non verbaux et ne sont pas encodés dans la mémoire autobiographique, le trauma-thérapeute ne peut pas dépendre du récit de son client pour guider le processus thérapeutique vers sa résolution. De plus, la capacité à verbaliser des expériences somatiques internes nécessite que le patient soit attentif à son corps, alors qu’en fait bien souvent il l’a justement effacé ou évité, dans le but de minimiser les sensations déplaisantes ou douloureuses.

Le sens récurrent d’un danger imminent, appelé « terreur sans voix » (Siegel, 1999 ; Van der Kolk, Van der Hart & Marmar, 1996), contribue à rendre le langage indisponible. Les individus traumatisés sont mis au défi par un système nerveux qui est incapable de réguler les manifestations de façon adaptative. La plupart ressentent trop (« hyperarousal ») ou pas assez de stimulation (« hypoarousal »), et souvent oscillent entre ces deux extrêmes (Ogden, Minton & Pain, 2006 ; Post, Weiss, Smith, Li & McCann, 1997 ; Van der Hart, Nijenhuis & Steele, 2006 ; Van der Kolk, Van der Hart & Marmar, 1996). Il y a un siècle, Janet (1909) écrivait que les émotions véhémentes, les manifestations intenses évoquées dans le trauma altèrent la capacité à formuler l’événement traumatique en récit explicite et cohérent. Les patients accablés trouvent peu de mots pour décrire leur passé parce qu’ils subissent une pénurie d’émotions et de sensations – un engourdissement, l’impression d’être mort, ou vide, de la passivité et de l’immobilisation (Bremner & Brett, 1997 ; Ogden, Minton & Pain 2006 ; Spiegel, 1997 ; Van der Hart, Nijenhuis, Steele & Brown, 2004).


Avoir recours à la « cure de parole » pour résoudre ces symptômes présente une limitation majeure, puisque les mots pour décrire le trauma ne sont pas disponibles. Comment le thérapeute traitera-t-il le trauma de son patient, si ce n’est à travers le langage ?

La psychothérapie sensorimotrice (Sensorimotor Psychotherapy), développée par l’auteur dans les années 1980, est une thérapie centrée sur le corps qui s’attache à résoudre les dysrégulations, les symptômes et les schémas dus au trauma, à travers un travail direct avec la sensation et le mouvement du corps lui-même, plutôt que par l’intermédiaire de la parole. Cette approche s’appuie sur la compréhension psychothérapeutique traditionnelle, mais traite le corps comme l’élément central du champ de vigilance thérapeutique, en utilisant des compétences et des théories observationnelles, et des interventions d’habitude non pratiquées en psychothérapie psychodynamique (Ogden, Minton & Pain, 2006). L’idée de départ de la psychothérapie sensorimotrice est que, en s’adressant directement au corps et aux symptômes qui d’ordinaire compliquent souvent le traitement des troubles de stress traumatique, les thérapeutes classiques peuvent améliorer l’efficacité de leur travail clinique.

Dans le traitement du trauma, la priorité est de moduler les manifestations dysrégulées. La « fenêtre de tolérance » (Siegel, 1999) renvoie à une zone de stimulations autonomes et émotionnelles optimale pour le bien-être et le fonctionnement courant. Quand la stimulation se produit dans cette fenêtre, l’information reçue des environnements à la fois externe et interne peut être intégrée (figure 1).


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Rédigé le 31/07/2010 modifié le 30/07/2010
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