Hypnose et fil de soi(e): Quand il s'agit de grandir... Formation Hypnose et Congrès 2007

Christine GUILLOUX
Formation en Hypnose
Formation en Hypnose Ericksonienne



Comment savoir qu'il est temps de changer? A quels signes sait-on qu'il est besoin de changer? Comment savoir que l'on est en train de changer? A quels signes reconnaît-on le changement? Et est-il nécessaire de se mettre à nu? ou de se décortiquer?
Est-il nécessaire de prendre du volume pour passer d'un état à un autre? Milton H Erickson ne commençait-il pas par faire grossir ses patientes qui voulaient perdre du poids ? Y a-t-il à faire grossir son attente, sa demande, son besoin, sa lassitude dont on ne sait plus comment se dépatouiller pour décider de grandir ? Il est mille et une façon de venir en thérapie pour décider, avoir le courage de grandir. Décider de passer le gué, de franchir une étape ou simplement de l'achever. Décider de se dépêtrer des toiles du passé, de se débourber, de s'alléger de l'insupportable ou simplement du peu supportable. Peut-être est-il d'autres toiles que l'on peut se construire dans le tourbillon de nos interactions avec les autres.
Grandir et se séparer
Grandir, devenir grand. Il est des stades dans notre développement, des étapes de vie, qui peuvent être difficiles à franchir : enfance, adolescence, jeunesse, maturité, vieillesse. Passages marqués, remarquables et remarqués. Transitions, bousculades physiques et physiologiques, « crises d'identité » qui se traversent comme pierres de gué, comme rites de passage. Passages à l'âge adulte : il peut s'agir de quitter la maison des parents pour le jeune adulte. Mais comment quitter la maison quand le jeune adulte est en graves difficultés ? Comment le jeune adulte et la famille peuvent-ils alors se séparer ?
Il est des bousculades alors d'un autre ordre : le jeune apparaît comme immature, malade alors que le système familial est en crise. Il n'y a ni victimes, ni bourreaux, mais des êtres en souffrance, des êtres en interactions paradoxales. Pour grandir, n'y a-t-il pas alors à accompagner, à réunir parents et enfants pour les aider à se séparer, à provoquer leur désengagement parents-enfants ?
Passages d'un état à un autre. N'est-ce pas en quoi consiste le changement ? Étapes de croissance, de maturation, cycles et transitions sur le chemin de la vie. Passages subis, prédéterminés, passages facilités et agis. Et rien ne sera plus jamais comme avant. De terrain connu en terrain inconnu. Et à l'âge adulte, de décade en décade. Changements internes, évolution des rôles et des responsabilités, changements de perspectives, de vision du monde, de valeurs. Étapes de mûrissement, de confrontations, de compromis et d'abandons, de révision de sa copie de vie. Prêt à affronter d'autres choses, à élaborer d'autres projets, à s'engager dans de nouvelles directions, à devenir de plus en plus soi-même, à être dans l'apprentissage permanent de ces mouvements de la vie. Alors grandir ne serait-ce simplement que bénéficier de ces étapes, de ces transitions, pour se dépasser et saisir ainsi ces opportunités de nouveaux apprentissages? et ce, dans un monde qui change de plus en plus vite... Sagesses à tous les étages.
Grandir passe par des moments d’alerte, des éveils explosifs, des confusions sinueuses, des surprises, des déclics comme par des distractions, des questionnements, des mobilisations de ressources… tout au long du voyage. Ici nous vous proposons quelques étapes d’accompagnement d’un tel voyage, dans cette mutuelle acceptation, dans cette rencontre de créativités. Un voyage à l’élégance suprême.

1ère séance. Où il est question de conduire, de ne pas conduire et se conduire entre deux (ou trois) rails.
Léa, la soixante à peine effleurée, s'est toujours sentie entre deux feux, entre deux chaises, entre deux... Petite dernière d'une famille de quatre enfants, entre ceux qui ont connu la guerre et elle qui ne l'a pas connue, entre deux pays, entre les militaires et les civils, entre sa mère et sa fille, elle s'élance et se présente à moi comme une consœur. Entre la familiarité et la distance. Enseignant de yoga, fascinée depuis toujours par le corps et le mouvement, versée dans la spiritualité, elle s'est arrêtée de danser à l'âge de treize ans. Elle avance puis elle bifurque.
Ce qui l'amène, c'est le souhait de conduire avec aisance, sans peurs et sans reproches. Elle conduit, certes, mais sur des routes familières, sur de "petites routes" mais pas sur la grand-route.
Sa fille a été un souci, une inquiétude et le demeure. Léa se sent coupable de n'avoir pas perçu combien Inès s'était sentie, enfant, souffre-douleur, et combien elle était suicidaire. Elle n'a pas su faire face à la violence de l'adolescente qui refusait l'accès à sa chambre. De sa mère, elle n'a soudain plus supporté l'emprise, les conseils, les ordres, les reproches. Une mère autoritaire, omnipotente dont elle a peur. Peurs d’avoir à parler d’elle, de son intimité, de ses questionnements, de ses difficultés relationnelles...
Entre la mère et la fille. Tous comptes faits, les événements forts étaient pour l'une et l'autre, il y a quinze-seize ans. Comme sur l'autoroute où Léa s'est sentie « poussée, collée par un camion aux fesses, avec l'impossibilité de s'arrêter ». « Je ne peux pas m'arrêter quand je veux. ». Elle clame son amour de la conduite tout en frissonnant à sa peur des autres.

Léa vient en cachette de son mari. Elle a peur qu'il l'oblige à conduire. Elle dit et redit son besoin de parler, de s'épancher, d'être écoutée, d'être prise en compte. Directement et indirectement. Elle dit son besoin d'aller à son rythme, pas trop vite. D'ailleurs, il en est de même pour ses activités professionnelles. Doucement, très doucement. « Vous allez me dire que je suis lente. Un ami m'a proposé de donner des cours de yoga dans une clinique psychiatrique. Pendant 15 ans, je lui ai répondu que je n'étais pas prête ». « Non, tu viens avec ton expérience ». Un silence et elle renchéri t: « A mon mari, je dirai que je ne suis pas prête ». Alors, vient-elle voir un thérapeute pour une thérapie brève de 15 ans ?
Vive et alerte, elle vient avec ses notes, son cahier de route qui s'étoffera progressivement d'un plan de vol. Mais nous n’en sommes pas là. Un question se pose : de quelle conduite s'agit-il ? Quelles sont les peurs, les ressources, les repères, les ouvertures, les perspectives ?
Séances suivantes. Où l'on apprend qu'il est des règles à ne pas transgresser, des règles de conduite.
Léa a noté ses peurs. Des peurs qui se nomment fille et mère. Le mari est sur le côté, de côté, sur le bas-côté. Inès s’est faite pilote d'essais, cascadeuse. Elle détient les rênes de ses prises de risque. Communiquer avec ses parents, à quoi bon? Léa conserve les distances avec sa mère ainsi qu’avec sa fille, une mère courage qui veut tout régenter, une fille courage qui veut se régenter. Alors, sans prise sur sa fille, sans prise sur sa mère?
Où il est question de ressources.... Où il est question de naître. De quelles ressources dispose-t-elle ? De la danse, de l'Age d'or de la peinture, de Puvis de Chavannes et des peintures symboliques, des opéras de Wagner, des oeufs à la coque,... Le yoga, étonnamment, n'est pas mis à contribution. Le yoga, lisse et lissé dans l'ici et maintenant. Au sortir de l’enfance, la Grèce était, pour Léa, alors image de la naissance du monde, une sorte de début de naissance... Une ressource forte à laquelle s’accrocher.
Où l'on apprend que grandir, c’est être au grand-jour et au matin du monde. Léa se souvient de ses rêves. Désormais, elle en use comme ressources. Images de matin du monde, avec Pâques, un ange de l'île de Pâques. C'est une rencontre de paix intérieure à laquelle elle accède en soulevant comme un couvercle de petites écailles. En sortent des images de matin du monde, des oiseaux qui s'envolent, des images qui signifient pour elle un accomplissement.
Où il est besoin de retrouver /reconnaître son chez soi
Où il est des signes, des repères pour la sortie. Du droit de se taire au droit d'être soi-même. Balancements entre la mère et la fille : « Je peux laisser à ma mère ses propres peurs ; je peux lui dire qu'elle ne peut pas m'attraper, me rattraper; je fais les choses comme je veux les faire »; « Je croyais offrir la tranquillité à ma fille, celle que je n'avais jamais eu; j'ai fait ce que j'ai pu. ». « J'ai le droit d'être en relief et pas seulement à plat. Mon malaise en voiture, écrasée, être écrasée, cernée, c'est ma mère et un peu ma fille. » « Un oiseau passe : un signe, le regard bienveillant du grand- père, sans paroles aucune. » « Tout ce temps perdu à chercher la paix. Ma mère m'avait réduit au silence et je peux en sortir. Quand j'étais enfant, je me protégeais mal, je n'ai pas appris alors à conduire. Pour avoir des enfants, il faudrait avoir un permis de conduire.

Où l'on apprend que conduire est grandir, et qu’il est un bon moment pour « sortir »… Elle amène un rêve ancien dans sa maison d'enfance où il est une armoire où se trouvait un corps mort qu’elle balançait au-dessus du mur du jardin avec dégoût. Là, elle a pris le corps et l'a bercé avec amour, et l'a pris avec elle. « Ce corps mort, tout sec, c'est une partie de moi. Je crois que je suis en train d'atteindre le plus beau jour... Je commence à m'accueillir. » Le corps dans l'armoire ressemble à une momie, à une chrysalide... un étui tout collé tout sec. L'armoire n'est plus à sa place, mais dans le couloir d'entrée, de sortie, un couloir qui a un côté utérin. « La naissance est la part qui me manquait. Maintenant je suis à la hauteur et peux reprendre ma tunique, je suis à la hauteur pour aller danser et m’élancer. »
Elle prend de plus en plus la voiture, ce n'est qu'un véhicule. Comme elle sourit de plus en plus aux interruptions intempestives de son mari pour un oui ou pour un non. Petits dégustations au quotidien. Ce qu'elle illustre par une citation, d'un philosophe chinois. Tchouang Tseu enfant se promène avec un ami. Il passe sur un pont. « Oh! regarde la joie des poissons dans l'étang. » « Comment tu peux connaître la joie des poissons ? Tu n'en es pas un. » « A ma joie sur le pont ! »
Où il est question de se réparer et de ne pas contrarier la nature. Elle vient avec les « Lettres au Greco » de Nikos Kazantzakis, pour qui le voyage est l'objet d'une quête intérieure. « A un moment, il raconte que dans sa jeunesse il avait trouvé un papillon en train de sortir de son cocon, il avait tiré, cherché à l'extirper et lui avait cassé une aile. Il s'était alors tellement reproché d'avoir voulu aller contre la nature. » Le cocon est une gousse de la nature pour inciter le papillon à le percer et à déployer ses ailes. A cette condition seulement, le papillon peut voler.
Et hier, « la petite fille arrive sur une immense étendue et arrive vers la lumière. J'avais retenu prisonnière cette petite fille. C'est moi qui l'ait réparée pour qu'elle soit libre. » Alors, passage de chenille à papillon...
Dernière séance. Où il est question d'explorer, de découvrir, de se découvrir. Où il est question de conduire sa vie sur la grand-route...
Léa est toute légère. Elle a ouvert un livre et y voit « trois créatures de Dieu : la chenille, le poisson-volant et le ver à soie qui fabrique le soi. Ça a été très fort. »
« Cette petite fille a réussi un tour de force extraordinaire, elle a pris dans l'armoire la chrysalide et elle l'a bercée au lieu de la balancer par-dessus le mur. Elle la prend et la porte pour que la chrysalide devienne papillon d'or et vole vers l'Orient. Je m'envole vers l'Orient vers le soleil et je n'en sais pas plus. » Elle rit avec mon mari du rapport à leur fille : « C'est important de respecter le silence. J’ai décidé de donner à Inès sa liberté inconditionnelle. » Les bretelles n'ont pas d'importance, elle peut les lâcher, son mari les lui lâche d'ailleurs. Elle a entrepris d'écrire un "livre à Inès" pour « dire sa légèreté, poser les bagages, vider le grenier, construire et ouvrir avec tous les sens » comme elle envisage d'en faire un à son mari.
Retours arrière pour une conclusion et des ouvertures. Grandir, se risquer, cadrages pour un passage.
Alors se demander ici ou ne pas se demander s'il s'est agi de grandir, de conduire. Se laisser porter dans cet accompagnement, avec ou sans hypnose, sans précipitation, par les besoins et les directions que se donne le patient au cours de son voyage, de son retour sur la grand-route. C'est comme si les embouteillages, les déviations, les canalisations, les goulots d'étranglement s'évanouissaient pour une grand-route où il est des paysages et des passages où personne n'est allé. Petites routes et grand-routes, indépendance et interdépendance, à son rythme, au rythme d’une danse, retrouver son chez-soi et continuer à grandir. La patiente est riche d’apports dans son introspection permanente et amène subrepticement, à son rythme, tous les ingrédients pour amener cette métaphore de la naissance du papillon, de la chrysalide au papillon. Image forte qu’elle rattache à ce « corps desséché », cette partie de soi qu’elle peut chérir comme une étape de sa vie, ce fil de soi(e) qui la conduit à la légèreté comme à l’élégance « d’être une grande ». La conduite en automobile n’était que le simple véhicule de son malaise, symptôme brandi, cachant d’autres besoins, d’autres respirations, d’autres destinations.


Rédigé le 02/12/2008 modifié le 12/12/2008
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