Hypnose et Sexualité : L’éclairage des neurosciences. Jean-Claude Espinosa pour la revue Sexualités Humaines

« Les sujets hypnotiques ne sont pas inconscients, quel que soit le sens qu’on donne à ce mot. » Milton H. Erickson, 1962.



Depuis de nombreuses années, l’hypnose est utilisée dans le traitement de nombreuses pathologies, quelles soient de type médical ou psychologique (douleur, troubles psychosomatiques, dépression, troubles sexuels, stress, etc.).

Pour beaucoup de scientifiques, l’hypnose est un état d’attention focalisée, de dissociation, et d’absorption avec une suspension relative de la conscience.
Que se passe-t-il lors d’une séance d’hypnose ?

Les procédures d’induction produisent premièrement un sentiment de relaxation physique et mentale par lequel les contenus de pensée se succèdent de façon plus fluide. Dans leurs études, Elisabeth Faymonville et ses collaborateurs demandent aux patients de revivre un souvenir autobiographique agréable afin de se distraire de la chirurgie. Puis l’hypnose se caractérise par un sentiment d’absorption mentale ou d’attention et de concentration soutenue. L’absorption est la capacité à s’impliquer complètement dans une expérience imaginaire. Ensuite s’installe une légère désorientation temporo-spatiale et une diminution de l’intérêt pour l’environnement immédiat.

La relaxation hypnotique correspondrait à une modification de la trame de fond du corps-soi, alors que l’absorption mentale décrit l’état de disponibilité attentionnel du soi en relation avec des contenus de conscience provoqués par les suggestions hypnotiques. Il est important d’insister sur le fait que, contrairement à certaines représentations de l’hypnose véhiculées par les médias, les personnes sous hypnose ne perdent pas le contrôle de leurs comportements. Elles restent conscientes de leur identité et de leur localisation. La diminution de l’orientation dans l’espace et le temps témoigne d’une réduction de l’intérêt pour l’environnement extérieur.

L’hypnose est souvent perçue comme un état de conscience modifié dans lequel le sujet n’a plus de volonté propre et ainsi se comporte comme un automate.
Cependant des études récentes suggèrent plutôt que l’état hypnotique reflète une grande implication des régions participant au contrôle de l’attention et de l’inhibition.


Imagerie cérébrale et sexualité

Si l’étude de la douleur a donné lieu à de nombreuses communications, d’autres domaines nous intéressent, et particulièrement celui de la sexualité. Ainsi à la suite de deux études menées en tomographie par émission de positons (TEP), un modèle neurocomportemental des processus cérébraux impliqués dans le désir sexuel chez l’homme a été proposé (Redouté et al., 2000). Ce modèle comporte :

- Une composante cognitive.

- Une composante émotionnelle.

- Une composante motivationnelle.

- Une composante autonome.




1 - Composante cognitive.

Lorsqu’un stimulus environnemental a une signification sexuelle potentielle, des processus d’évaluation participent à la catégorisation de ce stimulus comme « sexuellement pertinent ». D’autres processus participent au codage de l’intensité de la nature « sexuelle » du stimulus. Cette catégorisation effectuée, il existe une focalisation des « capacités attentionnelles » du sujet.
Différentes zones sont concernées :

- Le cortex orbitofrontal.

Cette région est essentielle. Ainsi en TEP une activation du cortex orbitofrontal est rapportée en réponse à des stimuli sexuellement explicites. Cette activation est plus forte lors de la présentation de stimuli « modérément stimulants » (par exemple, des photos de mannequins) que lors de stimuli intensément stimulants (représentant des femmes, même s’il ne s’agit pas de scènes érotiques).

Ceci permet de penser que l’activation du cortex orbitofrontal en réponse à des stimuli visuels sexuellement explicites n’est pas liée spécifiquement à leur nature sexuelle, mais à des processus d’évaluation de ces stimuli.

- Les lobules pariétaux.

Lobules pariétaux supérieurs

Une étude récente (Mouras et al., 2003) montre une activation bilatérale des lobules pariétaux supérieurs lors de stimuli visuels sexuellement explicites.
Ainsi les lobules pariétaux supérieurs interviennent de façon précoce dans des processus d’évaluation des stimuli sexuellement explicites.

• Lobules pariétaux inférieurs

Les lobules pariétaux inférieurs sont également impliqués dans le traitement de l’information sexuelle : les réponses cérébrales à des stimuli sexuellement explicites sont comparées chez un groupe de sujets témoins et chez des patients présentant un désir hypoactif : une activation des lobules pariétaux inférieurs est observée chez les sujets témoins mais absentes chez les patients (Stoleru, 2003).
Les lobules pariétaux inférieurs semblent être plus impliqués dans des mécanismes d’imagerie motrice accompagnant la mise en place de l’excitation sexuelle.


2 - Composante émotionnelle.

Cette composante comprend préférentiellement les processus cérébraux en rapport avec le plaisir accompagnant une excitation sexuelle.
Damasio, en 1996, place au centre des processus cérébraux impliqués dans les émotions la perception des variations physiologiques du corps au cours de la mise en place de cette émotion. Les émotions sont des programmes complexes et en grande partie automatisés d’actions qui ont été concoctés par l’évolution.

Les actions sont réalisées par un programme cognitif qui comporte certaines idées et certains modes de cognition, mais le monde émotionnel est en grande partie un monde d’actions menées à bien par notre corps, de l’expression du visage et des postures aux changements qui interviennent dans les viscères, les organes sexuels et le monde intérieur.

Au niveau du cortex cérébral, la principale région impliquée dans les émotions est le cortex insulaire. L’insula est impliquée dans le déclenchement d’une des émotions les plus importantes : le dégoût, la nourriture, mais aussi par la perception d’actions moralement répréhensibles. Par rapport aux viscères, l’insula est l’équivalent des cortex visuel et auditif primaire. Cependant l’insula n’est pas seule, en effet le cortex cingulaire antérieur devient actif en parallèle avec l’insula quand nous ressentons des sentiments. L’insula a une double fonction motrice et sensorielle, alors que le cortex cingulaire antérieur opère comme une structure motrice.


3 - Composante motivationnelle.

Cette troisième composante fait référence aux processus cérébraux liés à l’envie d’agir vers une cible ayant été catégorisée comme sexuellement explicite. Ces processus impliquent des mécanismes de préparation motrice se déclenchant face à une cible pertinente sur le plan sexuel.
C’est le gyrus cingulaire antérieur qui est impliqué dans cette composante. Au TEP, une corrélation est observée entre le niveau d’activation de la partie caudale du gyrus cingulaire antérieur et l’intensité du désir sexuel perçu par les sujets (Redoté, 2000).


4 - Composante autonome du sujet.

Des études de neuro-imagerie fonctionnelle ont étudié les aires cérébrales impliquées dans la réponse génitale intervenant lors de la mise en place d’une excitation sexuelle. Les résultats démontrent l’existence d’une réponse érectile en TEP en réponse à des stimuli sexuellement explicites.

Alors que la partie caudale du gyrus cingulaire antérieur est plus impliquée dans la composante motivationnelle du modèle, les résultats expérimentaux montrent un rôle de sa partie rostrale. Aussi bien en TEP qu’en IRM fonctionnelle, une forte corrélation est rapportée entre la magnitude de la réponse pénienne mesurée par pléthysmographie et celle de l’activité de cette région en réponse à des stimuli visuels sexuels.

Stoléru et al. en 2003, dans une étude portant sur des patients présentant un désir sexuel hypoactif, ont montré que le coefficient de corrélation entre le flux sanguin cérébral de cette région et la réponse érectile est plus important dans le groupe de sujets témoins que dans le groupe de patients.

L’hypothalamus joue également un rôle dans l’activité sexuelle. En effet, dans des études récentes (Montorsi et al., 2003), les variations d’activations cérébrales en réponse à des stimulations sexuellement explicites ont été étudiées chez des sujets témoins et des patients souffrant de dysfonctionnement érectile d’origine psychogène avant et après administration de placebo d’apomorphine (qui possède des propriétés proérectiles).

Il a été montrée et enregistrée une activation de l’hypothalamus postérieur en réponse à des stimuli sexuellement explicites chez les patients après administration d’apomorphine, alors qu’une telle activation n’est enregistrée ni chez les sujets témoins ni chez les sujets recevant un placebo.
Tout ceci démontre l’implication de l’hypothalamus dans les réponses érectiles. Les noyaux de l’hypothalamus contrôlent l’action des glandes endocrines dans tout l’organisme : hypophyse, thyroïde, surrénales, pancréas, testicules, ovaires.

Une autre région est impliquée dans le désir sexuel : l’insula. Critchley et al., en 2004, ont montré une implication de l’insula antérieure droite dans la représentation des états viscéraux du corps, ce qui pourrait être le substrat dans la prise de conscience des états corporels.

Cependant des études récentes suggèrent plutôt que l’état hypnotique reflète une grande implication des régions participant au contrôle de l’attention et de l’inhibition. Ainsi des chercheurs de la Faculté de médecine de Genève se sont livrés à une expérience intéressante en hypnotisant des sujets à l’intérieur d’un appareil IRM. Les sujets devaient se préparer à effectuer un mouvement de la main lorsqu’un signal leur était donné, et ensuite exécuter ou non ce mouvement.

On faisait à certains sujets une suggestion hypnotique de paralysie d’un bras, tandis que l’autre partie non hypnotisée devait simuler une paralysie de ce même bras.
Les expérimentateurs (Professeur Patrick Vuilleumier) ont pu ainsi montrer que des régions différentes sont impliquées dans la paralysie hypnotique et dans la simulation. Les sujets hypnotisés présentaient une très forte activité du cortex frontal qui est responsable en partie du contrôle de la réalisation de la tâche demandée. On peut donc parler dans ce cas-là d’un « hypercontrôle » et non pas d’un geste automatique. En outre, malgré la suggestion hypnotique de paralysie, l’activité liée aux intentions motrices était présente, preuve que la volonté d’agir n’était pas inhibée.

Les chercheurs ont pu remarquer que le cortex moteur, qui contrôlait la paralysie de la main, était plus lié que dans l’état normal avec des régions qui sont impliquées dans l’imagerie mentale et la mémoire de soi, suggérant ainsi que les sujets hypnotisés adoptaient une attitude introspective plutôt que perceptive.

« C’est comme si l’imagination prenait le contrôle du cerveau et de la perception. » Yann Cojan
Tout ceci nous amène à nous questionner sur la légitimité de considérer l’état hypnotique comme un état modifié de conscience. Cependant, d’autres approches acceptent cette idée et s’intéressent aux mécanismes par lesquels l’état hypnotique contribue à faciliter la transformation expérientielle des contenus de la conscience.



Rédigé le 24/05/2011 modifié le 27/12/2023
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Coach spécialisée en Sexologie, Praticienne en Hypnose Thérapeutique, EMDR IMO à Paris,… En savoir plus sur cet auteur


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