Entre deux états figés, l'intervalle d'une thérapeutique par l'hypnose. Formation Hypnose et Congrès 2007

Catherine Bouchara.
Médecin. Praticien attaché, consultation d’hypnose - Pitié Salpêtrière
Formation en Hypnose
Formation en Hypnose Ericksonienne



Atelier du non savoir, questions de laboratoire autour de l’intervalle, de l’entre deux bornes, entre deux états. On évoque d’une part les deux personnalités alternantes dans une dissociation pathologique, et à l’autre borne, la dissociation en tant que zone thérapeutique d’un travail sous hypnose.
Comment explorer dans l’entre deux mondes et trouver l’accès, comme on trouve la voie d’abord en chirurgie, l’accès de l’être et de l’agir dans le jeu subtil de frontières, entre connu et inconnu.
Comment explorer l’ouverture à la réassociation, les points de croisement de séparation ou de fusion entre dissociation et réassociation, terreau thérapeutique, levier du changement, le cœur thérapeutique de l’hypnose Comment utiliser un état A, un état B et l’intervalle ?
L’intervalle ? Intervalle entre état de veille et état de sommeil, entre état de conscience modifié et état de conscience ordinaire, entre l’ici et l’ailleurs, entre dissociation et réassociation, quel passage de l’un à l’autre, s’agit-il de deux états en parallèle, en simultané, ou encore reliés dans un processus d’interaction comme on le décrit en systémique?
Dans l’intervalle entre les entrées et sorties de transe, où sont-ils et que s’y passe-t-il ? Est-ce l’espace de transformation du travail thérapeutique ?
Quel sillon commun entre le Trouble d’Identité Dissocié, trouble dissociatif et dissociation provoquée dans l’approche thérapeutique par l’hypnose ? Que peut-on en apprendre ?
Les troubles de l’identité dissociée, liés à des réminiscences traumatiques, ont été décrits dans la littérature du XIX°siècle comme deux états fixes, parfaitement étanches, sans aucun système communicant. Etat A, état B, disait Charcot pour nommer les deux personnalités alternantes.
Ces personnalités doubles, dans l’état A et l’état B, forment une longue chaîne, celle de ceux qui « dorment alors qu’ils paraissent parfaitement éveillés » .
Le sergent de Bazeilles en est un maillon, ce « somnambule fermé au monde », anesthésié depuis sa blessure sur un champ de bataille à Sedan. Il oscille entre sa personnalité première et une seconde personnalité, entre deux états fixés soit en A soit en B, sans interaction, mais qu’est ce qui prouve une séparation totale?
Des « deux existences séparées » de Félida étudiée par Azam, sa seconde vie, sa seconde personnalité, Azam la compare à un texte, et ses absences, aux feuilles déchirées d'un livre. Pierre Janet somme Lucie de nommer son autre personnalité, il poursuit un objectif thérapeutique, il cherche à faire interagir l’état A et l’état B. Lucie se résout, elle fait apparaître Adrienne sous écriture automatique, mais qui est Adrienne ? La deuxième personnalité de Lucie révélée grâce à la technique de distraction proposée par son thérapeute ou la création induite et suggérée par Pierre Janet?
A mieux y regarder, ce qui relie les deux personnalités, les deux états A et B, c’est un canal de communication privilégié.
Pour l’un, c’est le tact, le sergent de Bazeille rattrape sa canne tombée au sol. Le toucher le transporte brutalement à nouveau sur le champ de bataille, la canne devient fusil, il crie.
Pour Emile X, c’est la vision. Emile X, le brillant jeune homme, avocat au barreau de Paris exploré par le père de Marcel Proust, Adrien Proust, médecin hygiéniste à la Charité. L’œil du président du tribunal fixe l’avocat ? Il passe en état B, l’escroc fait en douce les poches du greffier. Son regard croise le miroir d’une salle de restaurant ? Il fugue à Troyes, et vole. Il sera condamné puis délivré par un non lieu….
De ces personnalités alternantes aux troubles des personnalités multiples étudiés dans le cadre des syndromes post traumatiques, les dérives sont décrites par Sherryl Mulern. Qu’en est-il aujourd’hui de la recherche identitaire contemporaine ?



Repérages , l’état A, l’état B
Les états fixes et figés peuvent se repérer autant dans l’addiction du joueur de Dostoïevski, que s’actualiser dans les jeux de rôles. De la cape de Batman à la blouse blanche de médecin qu’on ne sait plus quitter, la fonction se fige, totalement envahissante, ça prend la place de l’être.
D’autres encore frôlent la confusion identitaire dans les jeux virtuels sur Internet. Quand le joueur ne maîtrise plus ni le temps ni l’espace, écarte tout lien au monde, suspendu à son double graphique et numérique créé au jeu des « second life ».
La personnalité première totalement envahie par l’avatar virtuel, en confusion identitaire entre la réalité et le virtuel, le sujet cherche à maintenir l’étanchéité des mondes. Pour Anshe Chung, allemande d’origine chinoise et son avatar, ni addiction, ni confusion identitaire, mais une maîtrise du jeu. Elle et son avatar passent et repassent entre les mondes, d’une multinationale virtuelle à une société réelle basée en Chine, Anshe Chung maîtrise l’alias, surfe avec son avatar et s’adapte.

L’hypnose clinique et les états figés
Deux états figés, une perte de mobilité, que se passe-t-il quand la douleur ou l’angoisse qui s’était tue ressurgit dans un point précis du corps, toujours le même ? Quand le langage du corps oblitère tout autre contact, la boule dans la gorge, la sensation de suffocation, le mal de ventre, la contracture. Comment se fait le transfert, l’irruption du mal être dans un organe ? A partir de quel signal ? Le plus souvent c’est à l’occasion d’un rappel traumatique. Quel passage et dans quel intervalle réservé entre A et B se réfugier et reprendre haleine ?
L’enjeu d’une thérapeutique par l’hypnose ? Retrouver une mobilité des passages vers l’unité de l’être et de mondes qui communiquent. Entre ces deux états A et B, un espace, un intervalle, un état frontière, jouer et développer la capacité de passage.

Vignette clinique
A quoi peut servir cette interrogation sur l’état A et l’état B ? Une vignette clinique va montrer comment le travail pointant les états fixes permet une approche plus libre, au cœur du cyclone, chez un patient envahi.
Orv… a 17 ans. Il passe d’un état d’hyperémotivité (état A), à peine perceptible par l’observateur extérieur, à une insensibilité totale (état B). Dans l’état B, il peut s’imaginer tuer de sang froid, sans culpabilité. Le passage à l’acte dépend du hasard, « si je la croise dans la rue, je la tue ».
Entre ces deux états, Orv… se présente comme un jeune adolescent très lisse, charmeur et classieux. La bascule s’opère d’un mouvement de regard, ça ne se raisonne pas, ça se passe comme ça. A ce moment là, il peut faire tabasser à mort par un gang en toute indifférence.
Sa mère est envahissante, Orv… « le lui fera payer ». A l’age de treize ans, pendant un an, il va brutaliser sa mère. Après un an de sévices, elle sera convaincue de porter plainte, Orv… passera un mois en hôpital psychiatrique.
Il a maintenant dix sept ans, il sort de deux gardes à vue successives, espacées de quinze jours, pour un même motif : menace, harcèlement et séquestration de son ex-amie.
Au sortir de sa deuxième garde à vue, il s’est procuré de fausses armes à feu sur Internet et les a troquées contre des vraies sur une place près du Châtelet à Paris, il a toujours aimé les armes.
Séparé de la mère d’Orv pendant sa grossesse, le père a eu dans la même période un autre fils avec sa secrétaire.
Pour son père, la situation actuelle n’est pas si grave, son fils a des difficultés avec les femmes, ce qui l’inquiète davantage c’est sa paresse, le bazar qu’il met dans sa chambre. Il dénie les troubles et la dangerosité de son fils. « Orv n’a pas besoin de suivi ni d’hôpital ».

L’atelier du non savoir, un accès à la prise en charge individuelle ?
L’inquiétude et la réalité de la psychose sont à gérer en équipe. Dans le travail individuel, l’alliance qui existe est à respecter, le support d’un travail sur les deux états figés peut éviter au thérapeute de se piéger dans le discours moralisateur, et permettre un espace thérapeutique. Orv… accepte d’explorer les deux états A et B et l’intervalle, le point de bascule entre eux, d’ouvrir l’accès à ce laboratoire du non savoir.
L’intervalle entre les deux états? Ici, c’est en une fraction de seconde que ça se passe, repérable à la bascule des yeux, le passage de l’hyperémotivité immédiatement réprimée à l’insensibilité totale qui ouvre au meurtre désaffecté, desafférentié.

Est-ce dans l’intervalle, ici, dans cette fraction de seconde, qu’il faut situer les ressources pour transformer, aménager autre chose ? L’intervalle qui précède chaque état ? Ce lieu du « rêve en action » dont parle Charcot ? Là où quelque chose se met en route et pourrait être dévié, retracé autrement, mis en interaction, sorti du figé et de la répétition ?
Renouveler cette légèreté que décrit le chamane quand il dit d’un même souffle qu’il va en bus au marché et qu’il rejoint la lune en chevauchant une bête sauvage, c’est peut-être ici entrer dans un processus de changement d’état, désintégration-réintégration, et de transformation. L’intervalle entre deux mondes, celui qu’on appelle dissociation en hypnose et qu'on pourrait peut-être tout aussi bien appeler réassociation.
Réintégrer le monde, et diriger la transe, n’est-ce pas sur le plan symbolique le travail qui s’opère en auto-hypnose chez chaque sujet ? Des profondeurs différentes offertes à chacun, tout travail par hypnose est une auto-hypnose, c’est peut-être dans cet espace intermédiaire que repose le creuset de transformation, que s’y passe-t-il ?
Comment faut-il définir ce lieu de nulle part ? Est ce là, dans cet intervalle que le travail se fait, l’espace intermédiaire pour lequel le sujet consulte, pour sortir de l’état fixé et figé. Dans ce passage de strate en strate, entre les mondes, dont parlera un autre patient.
Qu’en est-il du sujet, quand il « suspend ce qu’il est en train de faire… prend un air distrait et lointain, avec une perte d’éclat du regard, des pupilles dilatées … ». Ou encore, dit François Roustang dans des paroles évocatrices sur la dissociation, qu’en est-il … « de l’unité de l’observateur et de l’observé… absorbé dans l'acte d’observer il ne se regarde pas observer… de l’invite à la réassociation à l’oubli de soi , à l’abandon… A mettre hors circuit la conscience habituelle. ..Désagrégation de la manière de penser habituelle... Expérimentation, substitution de sensations ou de perceptions illimitées…. » Et enfin, ce passage à « un imaginaire prosaïque » qui conduit à une meilleure adaptation ?

Travailler avec deux états et leur intervalle ? A chacun d’expérimenter et d’imaginer ce simple modèle pour en révéler la puissance dans son travail clinique.
Quand le travail se fait, le changement s’opère dans la vie du sujet. Un patient parle de strates, du passage de strate en strate. N’est-ce pas une approche de cette coexistence de mondes, évoquée par Myers qui permet le retour vers l’unité de l’être?
Un jour peut-être a dit Myers cité par Ellenberger, « un jour viendra peut-être, où l’homme ne se contentera plus de passer alternativement de la veille au sommeil, mais où d’autres états coexisteront entre ces deux états fondamentaux ».

Références
Les aléas de la thérapie des réminiscences : le trouble de la personnalité multiple Sherryl Mulhern Le traumatisme de l’inceste p 63 PUF-1995
Proust et le moi divisé. Edward Bizub Droz 2006
Œuvres complètes Jean Martin Charcot
Histoire de la découverte de l’inconscient Henri F. Ellenberger. Fayard

Rédigé le 02/12/2008 modifié le 04/12/2008
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