Energetique du lemniscate, ou l’hypnose tourneboulée? Jean-Pierre Courtial, Maria Colliot, pour la Revue Hypnose & Thérapies Brèves 23

A partir d’un cas, l’auteur présente une modélisation du travail hypnotique qui intègre l’approche énergétique utilisée dans les médecines orientales.



Comment ce que les thérapeutes énergéticiens nomment énergie s’articule-t-il avec l’hypnose ? La pratique de l’hypnose peut-elle prendre une dimension énergétique ? A propos de sa pratique, Mesmer évoquait un fluide qu’il estimait spécifique au monde animal (par opposition au magnétisme de la matière inerte et des aimants) (Bellet, 2009). Pour lui ce fluide présentait tous les aspects d’une énergie. Y aurait-il un rapport entre hypnose et énergie ?

L’hypnose montre bien la multiplicité des états de conscience, des ressources potentielles, des bifurcations engendrant des « croyances » qui conditionnent les comportements. Ernest Rossi (2001, 2007, 2008) considère l’hypnose comme une manière de modifier l’équilibre d’un système, à la façon de la dynamique non linéaire, parfois chaotique, des systèmes auto-organisés. Il compare la guérison au processus de découverte, à l’eureka du chercheur. Il invoque le processus des neurones miroirs dans la symétrie des prises de conscience entre le thérapeute et le patient.

Concrétiser un problème

De façon générale, l’hypnose change les croyances de la personne, en tant que celles-ci expriment sa façon d’interpréter le monde et ce qu’elle est par rapport au monde. Il faut inscrire le problème des patients dans leur corps. Une personne souffrait d’une peur. La thérapeute énergéticienne lui a demandé :

- A quoi ressemble cette peur ?
- A une boule.
- De quelle couleur est cette boule ? Quelle est sa taille ?
- Elle est noire.

La thérapeute va tenter de transformer cette couleur en une couleur plus agréable, de la transformer en ressource, dans un processus non causal de co-émergence que nous préciserons plus loin. En effet, la peur évoque aussi un contexte qu’il va être possible de réinterpréter positivement lorsque la peur, associée à un élément positif, passe à l’arrière-plan, s’atténue . La peur exprime aussi une réaction de survie, elle n’est pas seulement négative. Autrement dit, le problème contient aussi sa solution.

L’hypnose nous suggère de matérialiser la souffrance abstraite. Elle met en œuvre des isomorphismes entre les gestes et le cheminement de la pensée. Pour le thérapeute énergéticien, il est possible d’utiliser le corps de façon plus systématique encore. Les métaphores ne sont pas que symboliques. Elles représentent des structures mentales ancrées dans des structures physiques.

C’est ainsi que la thérapeute considère que la boule est plus qu’une métaphore, qu’elle a une sorte de matérialité dans le corps du patient. Transformée en ressource, la thérapeute énergéticienne s’en empare avec les mains et va faire en sorte qu’elle remplisse d’énergie tout le corps du patient. Si elle la perçoit au niveau du ventre, elle suggère au patient de donner cette « information » à tout son corps. La thérapeute ressent si l’énergie reste bloquée quelque part sous la forme d’une sensation de froid au niveau de ses mains qu’elle promène à proximité du corps. Avec ses mains, elle ressent cette énergie avant qu’elle soit bloquée et la renvoie vers le corps pour qu’elle franchisse le passage.


La matérialité des métaphores

Tout cela suppose la fin d’une dualité entre la pensée et le fonctionnement physique . Il faut considérer une parole échangée comme une interaction pas différente d’une réaction hormonale ou motrice à la présence de quelqu’un (Cyrulnik, 1991). Il y a peu de recherches dans ce domaine parce que la culture occidentale s’est construite sur l’idée d’autonomie de la pensée, que la pensée n’est pas une relation psychophysique. A l’inverse, la pensée orientale, et notamment la médecine traditionnelle chinoise, n’a pas connu cette autonomie de la pensée, la dualité sujet objet, à l’origine cependant de la science telle que nous la connaissons. De même la pensée occidentale, sous l’influence du monothéisme, considère qu’il y a a priori une unité de la personne là où la pensée orientale considère des « sois » multiples.

Il se trouve que les modèles actuels de la conscience suggèrent une pluralité d’états de conscience possibles selon la cohérence de réseaux neuronaux en concurrence, ces réseaux étant en état d’oscillation cyclique en recherche de synchronie (Koch, 2006, Dennett, 2008). En anthropologie des sciences, la théorie de la traduction considère que les interactions qui produisent la conscience mettent en jeu sur le même plan, de façon indissociable, des acteurs humains et des acteurs non humains, du langage et des actes (Akrich, Callon et Latour, 2006). Ces acteurs interviennent en tant que réseaux associatifs s’articulant les uns aux autres et non en tant que causes, d’où leur nom d’acteurs réseaux. La conscience est la conséquence d’un état d’équilibre sociocognitif de ces acteurs, sociocognitif parce qu’il mélange le social (ou le culturel) et le cognitif (Courtial, 2008a, 2008b). C’est un acteur réseau tel que ce que nous percevons de nous-même est la conséquence d’une relation . On s’explique alors qu’une peur comme une boule puisse être considérée comme un acteur en elle-même, qu’il soit possible de s’adresser à cet acteur comme une personne et que la conscience de soi, ce qui est attribuable au milieu et ce qui est attribuable à soi-même, se répartisse autrement.

On peut comprendre ainsi l’hypnose introduisant une relation qui supprime la conscience de soi comme acteur : inconscience par exemple, à l’occasion d’une « hypnose spectacle » d’avoir été « programmé » par suggestion post-hypnotique à délacer ses chaussures au réveil. D’un autre côté, l’idée de fonctionnement biocognitif de l’être humain est apparue à la suite des travaux de Varela (1989) puis de Martinez (2001). Martinez suggère l’existence d’un stockage fractal d’une bioinformation, c’est-à-dire que c’est la structure de l’information qui est stockée à différents niveaux cognitivo-biologico-culturels . Il en résulte une logique de co-émergence instantanée, non linéaire, d’un phénomène biocognitif lorsque que c’est la même forme qui est activée à différents niveaux (aspect fractal). Le système corps esprit serait organisé comme un réseau fractal mêlant information et matière (à la différence de l’analyse des systèmes qui présuppose des éléments matériels fixes en interaction causale et non fractale par de l’information) obéissant à un algorithme de renforcement de cycles d’où co-émergent des éléments ou acteurs provisoires (Courtial, 2009, 2010, Courtial, Bailon-Moreno et Dumont, 2007, Courtial et Bailon-Moreno, 2007, Garnier, 2008, Herbet, 2008).

On a découvert récemment l’existence de neurones miroirs (Rizzolatti, 2007). La découverte des neurones miroirs suggère un principe de contagion des états non seulement mentaux mais biocognitifs. Un neurone miroir s’active de la même manière pour un comportement observé et le même comportement adopté. A cela s’ajoute chez certaines personnes le phénomène de synesthésie visuo-tactile selon lequel voir quelqu’un touché par un tiers entraîne la sensation d’être touché (Banissy et Ward, 2007). On fait l’hypothèse aujourd’hui que la même chose fonctionne au niveau du langage et pas seulement de la vue, voire au niveau des autres sens. Une parole entendue aurait des effets identiques à la même parole prononcée. Un toucher par quelqu’un sur nous aurait des effets identiques au même geste effectué par nous-même.


Rédigé le 24/02/2012 modifié le 24/02/2012
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