Devisager la douleur : Traitement hypnotique d’une algie vasculaire de la face. Revue Hypnose & Thérapies Brèves 23. Par Jean-Pierre ALIBEU et Maud GENETIER

Le regard hypnotique, par son approche diagnostique singulière, nous permet d’envisager un traitement original dans les douleurs aiguës chroniques.



L’algie vasculaire de la face (AVF) se manifeste par des crises douloureuses intenses atteignant le visage, quotidiennes ou pluri-quotidiennes, séparées par des intervalles libres asymptomatiques. Il s’agit d’une maladie périodique évoluant par salves d’un à deux mois, de caractère saisonnier. Le diagnostic s’accompagne d’un examen clinique normal et se fait par l’interrogatoire, ou plus rarement l’observation d’une crise.

La douleur est strictement unilatérale, de durée brève (10 à 120 minutes) s’accompagnant de signes végétatifs. Elle est souvent maximum dans la région orbitaire où elle est comparée à une sensation de broiement ou à une brûlure atroce. Cette douleur s’accompagne de signes végétatifs : larmoiement, rougeur conjonctivale, écoulement nasal. On note souvent une agitation avec déambulation.

La thérapeutique associe un traitement de fond destiné à espacer les crises : vérapamil, lithium, valproate de sodium, anticonvulsivants, parfois décevants, et un traitement de la crise : triptans et oxygénothérapie, voire corticoïdes.

Les formes évoluées durant depuis de nombreuses années, que l’on voit dans les centres de prise en charge de la douleur, sont souvent très chronicisées avec une perte de la périodicité, de nombreuses crises quotidiennes, et finalement une douleur de fond émaillée de paroxysmes. Cette pathologie est très invalidante, désocialisante, génératrice d’angoisse (à quel moment la prochaine crise va-t-elle apparaître ?) et entraînant des difficultés professionnelles.

L’hypnose a pu être tentée dans notre centre pour une patiente observée en crise paroxystique, et évoluant depuis de nombreuses années avec une symptomatologie très dégradée et une résistance majeure aux thérapeutiques conventionnelles.

Cas clinique : Madame M., 34 ans, souffre de douleurs de la face depuis dix ans. Celles-ci sont apparues immédiatement après un accident en 2000, touchent l’hémiface droite, sont d’emblée intenses et accompagnées de douleur rétro-oculaire, larmoiement et écoulement nasal unilatéraux. La crise dure généralement deux heures.
Actuellement, la durée des périodes de crises a augmenté progressivement, et les périodes de calme sont plus courtes. L’efficacité thérapeutique est également diminuée. Il y a souvent une douleur de fond modérée qui persiste.

Au cours d’une consultation, Mme M. déclenche une crise d’AVF violente, ce qui nous amène à lui proposer une séance d’hypnose qui sera bénéfique.

La première séance d’hypnose : récit
Au premier contact, je sens cette jeune femme épuisée. Lorsque je l’interroge, elle me dit que durant les trois premières années les crises ont été relativement espacées, mais que depuis 2003 elles sont devenues quotidiennes (6 à 7 par jour).

Mme M. m’explique qu’elle a été en 2000 victime d’un accident de voiture mais sans gravité, accident qui n’a été ni le seul ni le plus grave, car quelques années plus tard un autre, plus violent, a fait basculer ses enfants (qui étaient pourtant attachés) à l’avant de la voiture. Heureusement, elle fut la seule à être blessée (fractures de côtes, de bras et de jambe). « J’en ai eu plein des accidents », me dit-elle. Quand je lui demande si sa responsabilité a été mise en cause, elle me répond en riant : « Non, je subis. »
Cette année 2000 a été dense pour elle : premier accouchement, accident de la route, intervention pour un kyste thyroïdien.

Quand je lui demande de me parler des conséquences des crises douloureuses sur sa vie, elle me répond du tac au tac qu’elle n’arrive plus à s’occuper de ses enfants. La douleur est tellement violente qu’elle doit se mettre sous oxygène. Elle reconnaît être très invalidée, et devoir beaucoup compter sur l’aide de ses parents, notamment concernant ses enfants.
J’apprends alors que sa mère est diabétique et que son père est atteint de fibromyalgie. Elle-même a été diagnostiquée comme telle deux ans auparavant, suite à des douleurs généralisées et une fatigue importante. Lorsque je l’interroge sur son enfance et sur la relation qu’elle entretenait avec ses parents, elle fait un petit signe de main qui signifie : « Moyen. » Elle ajoute qu’elle n’était « pas vraiment désirée ». Sa mère n’avait que 17 ans quand elle est née, et elle n’a pas eu d’autres enfants par la suite.

L’année 2003, qui voit ses symptômes s’aggraver, est aussi marquée par une actualité chargée : naissance de son deuxième enfant, et cancer de la tyroïde ayant nécessité plusieurs interventions, dont une qui lui a fait contracter une infection au staphylocoque doré avec septicémie. Elle avoue « en baver toujours depuis », avec des problèmes hormonaux qui ne sont pas réglés et ont occasionné une forte prise de poids et des bouffées de chaleur.
Je lui demande comment elle vit son corps aujourd’hui : « J’ai du mal à le traîner. »
Au sujet du rapport qu’elle entretenait avec son corps durant l’enfance et l’adolescence, elle me dit qu’elle était très sportive (équitation, athlétisme).


A ce stade de la consultation, je pense en savoir assez pour démarrer la séance d’hypnose. Questionnée sur ce que représente celle-ci pour elle, elle dit n’avoir pas trop d’idées. Je justifie ma question par mon expérience qui m’a souvent montré que les personnes avaient peur avant leur première séance : d’être manipulées, de perdre le contrôle, mais aussi de ne pas réussir à entrer en transe. Ce qui la fait rire ! Elle me raconte que son père fait de l’hypnose : « Si lui il y arrive, je devrais y arriver aussi ! »
Je prends le temps de lui dire que la douleur est une des meilleures indications de cette approche, que depuis maintenant plusieurs années, on pratique des interventions chirurgicales avec accompagnement en hypnose, ce qui permet d’économiser une anesthésie générale. Que l’hypnose est avant tout une histoire de lâcher prise : « En hypnose, je ne vais pas chercher à lutter contre ce qui se passe, j’accueille ce qui vient dans le moment présent ici et maintenant, sans chercher à vouloir faire quelque chose ou à ne pas faire quelque chose, parce que souvent quand on a mal on se contracte et on se raidit en créant encore plus de tensions, ce qui va avoir tendance à augmenter la douleur. Ainsi rien qu’en se relâchant, il y a des choses qui se passent, et l’alliance de ce phénomène avec le mécanisme de l’hypnose apporte des solutions assez incroyables par rapport à la douleur. »

Ensuite, je lui précise que la première fois, j’aime bien partir sur un moment agréable pour le patient, et je lui demande ce que cela pourrait être pour elle. Elle me répond sans aucune hésitation : « Ma semaine en Tunisie. »
Je lui propose alors de poser ses mains sur ses cuisses, et de ne surtout rien faire pour m’aider. Je soulève alors alternativement sa main droite et sa main gauche par les poignets. Elle « m’aide » pendant la levée, et lorsque je lâche son poignet, elle retient la redescente. Je positionne alors mes mains sur mes cuisses et lui demande de me faire la même chose. L’interprétation qu’elle fait est étonnante puisqu’elle me dit : « Vous résistez là, vous trichez ! »
Moi de lui répondre : « Vous trouvez ? »
Elle : Oui
Moi : Je résiste en faisant quoi ?
Curieusement, elle ne me répond pas et continue, complètement absorbée, à me soulever alternativement le poignet droit et le poignet gauche, comme si elle se familiarisait avec la sensation de lâcher prise.
Au bout de quelques instants, tout en continuant, elle me dit : Non, ça va.
Moi : Et si je vous le refais à vous… (Je lui soulève à nouveau les poignets.) Qu’est-ce qu’il se passe quand je vous le fais à vous ?
Elle : Je suis molle.
Moi : Vous trouvez ? Qu’est-ce qui vous fait dire que vous êtes molle ?
Elle : Je ne sais pas ; j’ai l’impression d’être plus molle que vous.
Moi : Parce qu’en fait quand je vous demande de ne surtout pas m’aider, vous levez votre bras et donc vous m’aidez, alors fermez les yeux si ça vous aide.
Elle ferme les yeux et je continue. Son lâcher prise est plus net.
Moi : Vous sentez la différence ?
Elle (souriante) : Mm mm.
Moi : Qu’est-ce que ça change pour vous ?
Elle : Mon bras est plus lourd
Moi : C’est plus confortable ?
Elle ne sait quoi répondre.
Moi : Qu’est-ce que ça implique dans le bras justement ?
Elle : Ce n’est pas moi qui fait l’effort
Moi : Ce n’est pas vous qui faites l’effort. (J’arrête le mouvement alternatif.)

Je lui propose de conserver ses yeux fermés, et de sentir ce qui se passe dans ses bras. Car comme je le lui indique, même si une partie d’elle ne le sait pas encore, ses bras viennent d’apprendre quelque chose de très important : parfois c’était plus confortable de laisser l’autre faire.
Elle réagit alors en me disant : Ça, ce n’est pas mon fort.
Moi : Vous avez du mal à laisser les autres faire, à déléguer ?
Elle : Je n’y arrive pas.
Moi : Vous me dites que vous n’y arrivez pas mais ce que je peux constater, c’est que vous avez appris à y arriver. Au démarrage je n’avais même pas besoin de soulever votre bras puisque vous le faisiez à ma place, et là vous avez appris à me laisser faire. Donc, là où vous pensiez ne pas être capable de faire, vous avez réussi en quelques secondes à dépasser tout ça. Je vous propose que l’on prenne le temps de sentir tout ce que ça a changé.
Je lui propose alors de prendre le temps de sentir ce que cela a déjà changé dans sa main droite et dans sa main gauche. Je lui fais remarquer qu’elle a les yeux fermés, et que lorsque les yeux sont fermés, on peut ressentir les choses d’une façon différente, plus subtile. Je fais un parallèle avec les personnes atteintes de cécité, capables de percevoir des choses qui échappent totalement au monde des « voyants ». Je l’encourage alors, avec ses yeux fermés, à prendre le temps d’observer et de ressentir les choses de façon différente. A sentir les sensations se modifier au fil des secondes qui passent. Je lui réexplique qu’être en hypnose, c’est simplement vivre ce moment présent, là, sans rien faire, et que c’est ça qui est confortable. Je reviens sur quelques apprentissages qu’elle a fait, tout ce qu’elle a appris à apprendre, et toutes ces choses qu’elle sait faire ou qu’elle a su faire sans savoir comment.
Je lui indique ensuite que je vais poser un doigt sur sa main droite et lui propose de se concentrer sur la sensation de ce toucher, puis d’y installer un apprentissage incroyable, quelque chose qui lui semblait impossible. Je lui explique qu’un apprentissage ça circule, ça évolue. Que lorsque qu’on a appris à faire une chose on sait finalement en faire plein d’autres. Je laisse la première image me venir et lui dis que lorsque l’on sait faire une pâte à crêpes on est tout aussi capable de faire une pâte à gaufres. Ça la fait sourire. Je l’encourage à laisser remonter tout ce savoir-faire dans son poignet, comme un courant qui circule. Je l’accompagne pour laisser ce flux remonter jusqu’à son visage tout en laissant sa respiration et cet apprentissage qui circulent se rencontrer.
La voyant plisser les yeux de plus en plus fort, je lui rappelle que si elle sent le besoin d’exprimer quelque chose elle a toute liberté de le faire.
Elle (se frotte la tête) : J’ai mal à la tête.
Moi : Vous avez mal à la tête, qu’est-ce que vous ressentez comme douleur ? Décrivez-la moi.
Elle a du mal à parler, je la sens prisonnière de sa douleur.
Moi : C’est un courant électrique ?
Elle : Oui.
Moi : Qui part d’où à où ?
Elle (faisant tout le tour de son œil droit en descendant jusque vers sa joue avec son doigt) : C’est par là, ça fait deux heures que ça me cherche.
Je lui propose alors de garder les yeux fermés, de laisser sa respiration passer et de se faire le plaisir de retourner en Tunisie.
Ses grimaces de douleur sont de plus en plus prononcées. Je lui propose de sentir l’air de sa respiration passer au niveau de son visage comme pour débloquer ce qui gêne, en énumérant différents endroits (le coin de l’œil, la tempe, la joue…).
Elle (soupirant) : il y en a trop.
Moi : Trop d’endroits ?
Elle : Je me contracte, je le sens et je n’y arrive pas.
Moi : Où est-ce que vous vous contractez ?
Elle (me montrant tout le côté droit de son visage) : J’ai tout qui est contracté, ma mâchoire me fait mal.
Moi : La mâchoire est tendue, essayez de mettre un peu plus de poids dans votre mâchoire en bas, comme si le menton pesait un petit peu plus lourd, et de sentir ce qui va permettre de changer un peu les choses, prendre le temps de changer juste la petite chose qui va modifier la sensation. » Je continue en accompagnant sa respiration, et au bout de deux minutes je lui demande si la douleur a déjà commencé à se modifier.
Elle (dans un soupir) : Pas franchement.
Moi : Qu’est-ce que vous ressentez ?
Elle : J’ai la joue qui commence à s’endormir.
Moi : Ça vous fait ça d’habitude ?
Elle : Oui.
Moi : Alors, on va faire autre chose. Et je mets en place une catalepsie au niveau de son bras droit. Je lui rappelle que cette main a tout à l’heure reçu un apprentissage, et qu’il pourrait être intéressant de venir déposer cet apprentissage là où il y en a besoin. Je travaille ensuite en suggestions indirectes pour induire une lévitation du bras, en utilisant des apprentissages de liberté, d’espace, et de légèreté. La lévitation se met en place rapidement, avec les petits mouvements saccadés très caractéristiques. Lorsque sa main atteint son visage au niveau de son œil droit, je lui indique que son inconscient vient de lui permettre de transmettre un apprentissage à cette partie d’elle-même. Elle est quelques minutes restée la main ainsi posée. Je lui ai alors proposé de remettre un peu de lourdeur dans son bras afin de retirer toutes les sensations désagréables. Ainsi, plus son bras descendait et s’éloignait de son visage, plus elle retirait les sensations inconfortables et éloignait la douleur.
Il a fallu plusieurs minutes, là encore, pour que le bras redescende totalement. Je lui dis qu’elle avait raison de prendre son temps, car parfois il était sage de prendre son temps.
Lorsque sa main s’est reposée sur sa cuisse, nous avons terminé la séance tranquillement.
Elle semblait reposée et apaisée. Lorsqu’on lui a demandé comment elle se sentait, elle a répondu qu’elle n’avait plus mal. Curieusement, elle disait toujours ressentir les impulsions électriques, mais sans aucune sensation douloureuse.

Commentaires

Aborder une séance d’hypnose avec un patient présentant une douleur sévère et résistante peut mettre l’opérateur dans une position inconfortable. La pression du résultat attendu peut amoindrir la capacité à lâcher prise pourtant indispensable à la conduite de toute séance.
Une forme de spirale d’échecs accompagne souvent le patient atteint de douleurs chroniques. Celle-ci peut amener le soignant à douter de la possibilité d’un soulagement. Comme s’il était à son tour happé par cette lourdeur ambiante.


Rédigé le 27/03/2012 modifié le 27/03/2012
Lu 7307 fois



Dans la même rubrique :