De la suggestion envisagée au point de vue pédagogique. Hypnose et Histoire

Ce texte publié en 1887 nous montre des situations cliniques qui demeurent d'actualité, mais dont l'approche sémantique change.
A la fin du XIXe siècle, les thérapeutes étaient préoccupés par l'amélioration de leurs patients à la fois sur le plan clinique, mais aussi moral, considérant l'hypnose comme un vecteur pédagogique privilégié. En estimant que pédagogie et moralité soient appariés... Certains y voient davantage une orthopédie mentale sujette à caution et dérives. De nos jours, la dimension morale s'estompe et fait place à des termes issus du vocabulaire économique, voire commercial, dont un des plus emblématiques est la gestion. Est-ce un recadrage hypocrite ?
Quelles valeurs sont maintenant correctes ou plutôt politiquement correctes ? Ou bien autre chose... Ce débat qui pose aussi, à sa façon, les limites d'applications de l'hypnose, reste ouvert à la suite de celui de nos prédécesseurs.

Patrick Bellet



L’étude attentive des progrès réalisés dans le domaine de la suggestion par l’Ecole de Nancy nous a fait nous demander s’il n’était pas temps pour la pédagogie de revendiquer sa part dans le mouvement scientifique qui s’accomplit.

Déjà les observations nombreuses recueillies par M. Auguste Voisin, à la Salpétrière, observations dans lesquelles il démontre d’une façon indiscutable que l’hypnotisme a été entre ses mains, non seulement un moyen de guérir la folie, mais encore un agent moralisateur de la plus grande efficacité, pouvaient faire prévoir qu’on songerait tôt ou tard à utiliser l’hypnotisme comme moyen d’éducation.

Lorsqu’on voit avec quelle facilité relative M. A. Voisin parvint, par l’hypnotisation et surtout par la suggestion hypnotique, à transformer sa première malade, Jeanne Sch…, âgée de 22 ans, voleuse, prostituée, brutale, ordurière, paresseuse, malpropre et incorrigible en une personne obéissante, soumise, honnête, laborieuse et propre, on ne peut manquer d’être vivement impressionné.

Cette fille n’avait pas voulu lire une ligne depuis plusieurs années ; M.Voisin lui suggéra d’apprendre par cœur plusieurs pages d’un livre de morale et les lui fit réciter devant les auditeurs de son cours.

Il lui fut tout aussi facile de raviver chez elles ses sentiments affectifs éteints. La guérison a été durable, puisque Jeanne Sch… a pu être admise comme employée dans un établissement hospitalier où sa conduite est irréprochable.

Cette première tentative a été suivie, à la Salpétrière, de beaucoup d’autres dont le résultat a été aussi satisfaisant. Dans sa clientèle de la ville, M. Voisin a obtenu les mêmes succès, puisqu’il a pu dans un cas, faire en sorte, par la suggestion hypnotique qu’une femme, dont le caractère était insupportable, devint douce, affectueuse avec son mari et cessât de se laisse aller à la colère.

Les expériences de M. Voisin portaient sur des adultes. M le docteur Liébault nous a communiqué plusieurs observations d’un intérêt beaucoup plus considérable au point de vue qui nous occupe puisqu’elles ont trait à des enfants.

Nous nous bornerons à signaler les deux suivantes :

Dans le premier cas, l’expérience fut tentée fortuitement ; elle n’en fut pas moins concluante. On avait amené à la clinique du docteur Liébault un enfant atteint d’une affection nerveuse et qui refusait de se laisser hypnotiser.

Un frère du petit malade, collégien robuste et bien portant, qui assistait à la séance, offrit spontanément de se laisser hypnotiser, pour montrer qu’il n’avait pas peur.

Pendant qu’il dormait, la mère raconta au docteur Liébault que son fils n’avait jamais été que le dernier de sa classe, parce qu’il refusait obstinément à travailler. On profita de son sommeil pour lui suggérer de mettre plus d’application dans ses études, de travailler avec ardeur. Le résultat fut complet. Pendant six semaines il donna l’exemple d’une assiduité et d’une application inaccoutumée, à tel point qu’il fut deux fois le premier de sa classe.

Dans le second cas, il s’agissait d’un jeune idiot qui lui fut amené pour une incontinence d’urine. Ce malade n’avait jusqu’alors été accessible à aucune culture intellectuelle. On n’avait pu lui apprendre ni à lire ni à compter. M. Liébault le soumit à de fréquentes séances d’hypnotisme pendant lesquelles il s’efforça, par suggestion, de développer chez lui la faculté d’attention tout à fait absente. Au bout de deux mois, cet idiot connaissait ses lettres et avais appris les quatre règles de l’arithmétique.

M. le docteur Dumont, de Nancy, a aussi recueilli un certain nombre de faits du même ordre.

Dans une de ses cliniques, M. le professeur Bernheim prononçait récemment cette affirmation :

Tous les enfants sont suggestibles, c’est-à-dire susceptibles d’être soumis à la suggestion hypnotique. En effet, les enfants, depuis l’âge de raison, s’hypnotisent en général très facilement. Il suffit souvent de leur fermer les yeux, de les tenir clos pendant quelques instants, de leur dire de dormir, puis d’affirmer qu’ils dorment.

Ce n’est pas seulement dans l’état de sommeil que la suggestion agit sur l’enfant comme sur l’adulte ; elle agit aussi à l’état de veille.

Et ce n’est pas là la moindre partie de l’œuvre de l’Ecole de Nancy que d’avoir mis en lumière ce fait capital. Un des caractères du sommeil hypnotique, c’est l’automatisme dans lequel se trouve l’individu endormi.

Par la suite de l’inertie passagère de sa volonté, il subit toutes les impulsions qu’on lui donne. A l’état de veille, le sujet peut se trouver de lui-même dans un état où il est disposé à accepter les affirmations, sans aucune réaction et sans aucun contrôle de sa volonté ni de son esprit.

Mais il est encore d’autres cas où, l’absence de toute suggestion venant d’autrui, l’individu agit sous l’influence de suggestions qu’il se fait involontairement à lui-même. Ces auto-suggestions sont le résultat de l’imitation.

Les faits d’imitation prennent naissance chez tout le monde, cependant l’enfance est l’âge où l’on est le plus prédisposé à les accomplir. Ils se développent à l’état de veille dans les moments où la faculté d’attention, encore mal exercée ou fatiguée, cesse d’être vigilante.

Tout ce que nous venons de dire n’impose-t-il pas aux éducateurs la nécessité d’étudier de plus près qu’il ne l’ont fait jusqu’à ce jour l’influence de la suggestion et de l’imitation sur l’éducation des enfants.

Dès à présent, les observations que nous connaissons nous permettent de formuler quelques conclusions pratiques :

Lorsqu’on se trouvera en présence d’enfants simplement paresseux, indociles ou médiocres, on se bornera à faire sur eux des suggestions verbales, à l’état de veille. Pour quelles aient quelque efficacité, il sera utile de se mettre dans les mêmes conditions que les expérimentateurs de Nancy et en particulier M. Liébault.

Il faudra s’efforcer d’inspirer la plus grande confiance à l’enfant, l’isoler, lui mettre la main sur le front, lui faire les suggestions voulues avec douceur, avec précision, avec patience.

Lorsqu’on aura à se préoccuper de l’avenir d’enfants vicieux, impulsifs, récalcitrants, incapables de la moindre attention et de la moindre application, manifestant un penchant irrésistible vers les mauvais instincts, nous pensons qu’il n’y aura aucun inconvénient à provoquer l’hypnotisme chez ces créatures déshéritées.

Pendant le sommeil hypnotique les suggestions ont plus de prise. Elles ont un effet durable et profond. Il sera possible dans bien des cas, en les répétant autant que cela sera nécessaire, de développer la faculté d’attention chez ces êtres jusqu’alors incomplets, de corriger les mauvais instincts et de ramener au bien des esprits qui s’en seraient écartés infailliblement.

En terminant, je n’hésite pas à déclarer que, autant il y aurait d’inconvénients à pratiquer l’hypnotisme chez des sujets excellents, bien portants, autant il y aura d’avantages à l’appliquer, comme moyen pédagogique, à des sujets mauvais, vicieux ou malades.

Je dois ajouter que l’emploi de ce procédé sera surtout indiqué dans les cas où tous les autres moyens rationnels d’éducation auront échoué. Il devra toujours être appliqué sous la direction d’un médecin compétent et exercé.


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Rédigé le 07/11/2010 modifié le 05/11/2010
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