Contes et semaphores : Des balises hypnotiques. Marie-Claude MICHAS, Revue Hypnose & Thérapies Brèves 23

Les contes sont universels et les péripéties métaphoriques qui les jalonnent guident les auditeurs de préférence, les lecteurs dans leur vie. De nombreux exemples illustrent l'efficience du verbe et ses effets dans le quotidien des patients.



Dans toutes les cultures on aime entendre ou raconter des mythes, des légendes, des histoires. Nous savons depuis un certain nombre d’années, de manière plus contemporaine, que les contes aident à guérir. Le conte est un allié thérapeutique, une approche douce. « En thérapie, le conte peut représenter un allié, un passeur des traditions dans lequel le patient peut puiser une parole sage pour comprendre le monde et y trouver sa place » (Bénédicte Flieller).La flexibilité et la souplesse de l’allégorie se prête à des approches thérapeutiques qui s’appliquent à plusieurs situations de la vie courante.
Remis au goût du jour par certains thérapeutes comme Jacques Salomé et Michel Dufour, les contes offrent, quand ils sont utilisés par des hypnothérapeutes (comme Evelyne Josse, Jorge Bucay, Consuelo Casuela et bien d’autres), d’autres possibles aux soins ainsi que des perspectives nouvelles. Ces histoires, d’apparence si simples et ordinaires, qui peuvent pourtant être à l’origine de « transe-formations » chez les patients.


Les histoires métaphoriques


C’est une histoire racontée, contée lors d’une transe hypnotique ou dans un contexte de transe légère. C’est une histoire inventée, un récit créé à partir de
métaphores ou d’allégories.
Milton Erickson utilisait des « inductions conversationnelles » ; celles-ci permettent de modifier l’état de conscience du patient dans un but thérapeutique. C’est « l’hypnose sans transe ». Selon Thierry Melchior, il existe des suggestions à l’état de veille et des suggestions hypnotiques. Ces dernières sont adressées à une personne en état d’hypnose : « L’état hypnotique favorise donc une augmentation de la suggestibilité » (Créer le réel, p 68). « La métaphore telle que nous la concevons dans la nouvelle hypnose doit être comprise comme la plus indirecte des suggestions indirectes ». (Ibid.).


Métaphore et / ou allégorie


La première définition des métaphores provient d’Aristote : « Transport à une chose d’un nom qui en désigne une autre, transport de genre à l’espèce, ou de l’espèce au genre ou de l’espèce à l’espèce ou d’après le rapport d’analogie » (E. Josse : Le pouvoir des histoires thérapeutiques, p 26).
Construire une métaphore, c’est extraire un mot ou un groupe de mots de leur contexte, afin de les faire passer du sens propre au sens figuré. Autrement dit une comparaison dissimulée et exprimée sans le mot « comme ». Pour E. Josse, la métaphore est la matrice de ressemblances potentielles. Le sens propre s’adresse à la raison, et le sens figuré à l’imaginaire. Ainsi la métaphore s’établit comme une image, une histoire ou une anecdote, une citation, un conte.
Selon M. Dufour, la métaphore est un procédé par lequel l’attribution s’effectue surtout, par une comparaison sous-entendue, sur une personne ou une chose : une analogie. Les enseignants utilisent les métaphores pour faire comprendre les diverses notions aux élèves.
A l’ origine de l’allégorie nous trouvons deux mots grecs : allos qui signifie « autre », et agoreuin qui veut dire « parler ». User d’une allégorie c’est donc employer des termes autres que les termes propres en parlant d’une chose. L’allégorie exprime une autre chose !
M. Dufour se réfère au Petit Larousse : l’allégorie est « une représentation, l’expression d’une idée par une figure dotée d’attributs symboliques ou par une métaphore développée » (Allégories pour guérir et grandir, p 23).
L’allégorie est une variante de la métaphore filée. (E Josse). C’est un discours à double sens.


Construction d’une histoire métaphorique

E. Josse détaille l’histoire thérapeutique en différenciant des opérateurs. Les métonymies et les métaphores ne concernent pas que des styles linguistiques essentiellement. Elles sont aussi visuelles comme les images qui sont suggérées par les contes et les histoires faisant appel au pouvoir des représentations oniriques. La construction d’une histoire métaphorique s’effectue selon des procédés semblables aux processus primaires.
Consuelo Casula, psychologue, formatrice à la Scuola Italiana di Ipnosi e Psicoterapia Ericksoniana, s’attache, pour activer la résilience du patient, à intégrer dans les métaphores l’acceptation de la réalité, le contrôle de ses émotions, le sens de la responsabilité, l’autodétermination, la compassion, la tolérance.
Jean-Philippe Vidal préconise la qualité du scénario, colonne vertébrale du récit. Deux éléments majeurs fondent le scénario : les personnages ayant de la profondeur, et la structure scénarique cohérente. L’ennéagramme est pour lui un outil privilégié de cette écriture spécifique.

Un scénario est un processus incluant des repères techniques :

1- Donner un titre accrocheur, inspirant, et illustrant la situation de la personne.
2- Phase d’isomorphisme de la construction. Identifier quelques éléments déterminants de la situation, et faire le choix d’un champ analogique en référence au monde animal, à celui des plantes, à la nature, aux fées, à des personnages légendaires, etc. Un contexte habituel est donné, mais les personnages sont déroutés de leur vie quotidienne, ceci provoquant des tensions et des conflits sans lesquels l’histoire s’arrêterait là.
3- A l’intérieur du champ analogique choisi, pour chaque élément déterminant de l’histoire de référence est construite une structure d’arrière-plan.
4- Trouver un fil conducteur qui traverse les différentes parties de l’histoire métaphorique, c’est-à-dire les problèmes à régler, les conflits, les ressources du sujet, et la résolution (c'est-à-dire la solution trouvée !). Un cheminement s’avère nécessaire pour trouver une résolution, une sortie du conflit. Il conduit vers une nouvelle vérité insaisissable auparavant. Rien ne sera plus comme avant ; il faut renoncer à se raccrocher au passé et faire évoluer la situation. Par une compréhension d’ensemble, l’histoire prend valeur initiatique de solution, face au conflit interne, de la tension existant la vie quotidienne.
5- Devenir conteur ! Le thérapeute avec son observation, son intuition, le choix de ses mots, accompagne de sa voix le patient sur le chemin de sa reconstruction. Le récit doit commencer par quelques phrases types : « Il y a de cela bien longtemps… », « Quand j’étais tout petit…». Ces débuts induisent une désorientation dans le temps.
D’où viennent-elles de telles histoires métaphoriques ? Contes, fables ou récits de toutes cultures, parfois fort anciennes mais pouvant être plus récentes, sont le socle de telles narrations.



Construire l’impact thérapeutique

Pour le psychiatre argentin J. Bucay, l’impact d’une fable, d’un conte ou d’une anecdote reste beaucoup plus longtemps imprégné chez les gens que des explications intellectuelles. Le modèle éricksonnien l’envisage comme « une arme didactique » (Laisse-moi te raconter….les chemins de la vie. p 9). M. Dufour, pour construire cet impact, mixe et /ou s’appuie et/ou s’inspire des récits ou contes en y ajoutant ses écrits, tandis que Jean Touati, sur la base d’un conte, réécrit l’histoire selon la situation du patient, les mots de celle-ci étant alors mis en relief et en couleur dans le texte écrit, puis appuyés intentionnellement lors de sa lecture. Ces mots s’adressent à l’inconscient du patient. Cette métaphore aura une connotation isomorphique, insérée dans une technique de traitement thérapeutique dite « de reconstruction hypnotique ».

D’autres hypnothérapeutes composent au fur et à mesure de la séance. Des ateliers de contes thérapeutiques apprennent à adapter le conte à chaque personne selon ses symptômes et sa personnalité. Des hypnothérapeutes comme E Josse procèdent par une mise en état hypnotique du patient, puis insufflent l’histoire métaphorique en proposant un voyage qui est une allégorie. Cette auteure y insère des suggestions grâce aux canaux sensoriels, en repérant pour chacun de ses patients son canal privilégié. Celui-ci servira de passerelle (dans une conception proche de celle utilisée en PNL) qui fédère une alliance thérapeutique amenant le patient à se sentir compris.


Action des histoires métaphoriques

Suivant M. Dufour, et en accord avec l’approche d’Erickson, la métaphore thérapeutique dépotentialise, lors du premier temps de la transe hypnotique, le cerveau gauche, c'est-à-dire le conscient : « Le conteur rejoindrait davantage le côté intuitif, la spontanéité, la créativité par le biais du cerveau droit pour atteindre l’inconscient » (Allégories pour guérir et grandir, p 32). Le cerveau gauche peut alors secondairement synthétiser le travail préalablement effectué :
« La métaphore et l’allégorie sont probablement les plus efficaces des techniques qui font intervenir l’hémisphère droit parce qu’elles font appel au processus même d’acquisition. » (Ibid., p 29). L’inconscient, « riche de possibilités et de solutions » (p 24), continue à alimenter le conscient par un travail de renforcement. Et les suggestions (ou métaphores) contribueront à graduellement modifier les comportements problématiques. L’ancrage d’un changement insufflé pendant l’état hypnotique deviendra un outil qu’il sera possible de réactiver lorsque cela s’avérera nécessaire. A son insu, le patient en état de conscience modifié pourra visualiser, se laisser aller à ses émotions, à ses projections, à ses rêves. Dans l’histoire métaphorique, le patient fait une découverte à partir de l’intérieur !f

En résumé, il existe dans une histoire métaphorique trois niveaux d’action :

1) Celui du message apparent, qui est le déroulement de l’histoire adressée au conscient.
2) Celui du message caché, latent, qui chemine alors souterrainement et qui s’adresse à l’inconscient par suggestion inter contextuelle . Ce message fait écho aux problèmes du patient, et favorise des prises de conscience qui engendrent des réaménagements psychiques.
3) Enfin des niveaux psychiques également atteints par le message caché, mais qui sont inaccessibles au conscient.


Vignette clinique


Issue d’une fratrie de trois, Melle P, est une jeune femme dans la quarantaine, célibataire, sans enfants. Après une psychothérapie d’inspiration psychanalytique de deux ans effectuée avec moi, puis une interruption d’une durée similaire, elle sollicite de nouveau une consultation. Lors de celle-ci, Melle P. est tendue, quasiment figée, et montre un visage crispé. Elle commence par exprimer des angoisses diffuses, disant qu’elle n’aurait pas fini le deuil de sa mère décédée cinq ans auparavant. La patiente me parle ensuite des derniers mois de l’année 2009 et du début de 2010. Devant subir une ablation de la thyroïde (suspicion de cancer) en avril 2009 - l’opération aura finalement lieu en novembre 2009- elle s’engage en juillet dans une relation amoureuse avec un homme divorcé ayant trois enfants, puis entame en septembre une nouvelle formation professionnelle au sein de son entreprise. En janvier 2010, la rencontre amoureuse se solde par une rupture. Depuis février, elle s’est mise à mi-temps thérapeutique, à la fois parce qu’elle s’est « effondrée », mais aussi pour pouvoir mener à bien sa formation. Elle dit vivre ce mi-temps de manière culpabilisée. Ne demandant rien à personne, elle a peu reçu de soutien spontané en retour. Les personnes qui constituent son entourage ont été étonnées de son effondrement.

Notre choix thérapeutique se fixe sur une reprise du lien à soi, quand tout le monde la laisse à son triste sort. Apaiser ses tensions internes par une reconnexion avec elle-même, et retrouver le chemin de ses ressources oubliées.
La psychothérapie préalable nous a allégé des entretiens préparatoires en ciblant assez directement les afflictions. Des séances d’hypnose lui sont proposées.


Rédigé le 29/02/2012 modifié le 23/07/2020
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